Sorti le 25 octobre 2019, Jesus is King est le 9e album solo de l’autoproclamé « meilleur artiste de tous les temps », Mr Kanye West.

Oui cet album a battu les records de streaming de Spotify, oui il a été longtemps attendu et repoussé maintes fois pour évoluer (il devait initialement s’agir de Yhandi, prévu pour septembre 2018 avant de devenir un album de rap chrétien, teasé et donc repoussé de nombreuses fois), et oui il conduit une voiturette tank dans le clip de Follow God.

Mais en dehors de tous ces éléments, que vaut vraiment le 9e effort en solo de l’homme dont la plus grande peine dans la vie est qu’il ne pourra jamais se voir performer en live ?

Pour commencer, album gospel, pas vraiment. Désolé de chipoter sur les mots, mais mis à part le premier morceau Every Hour et dans une moindre mesure le second Selah, c’est du rap chrétien et non du gospel. Si le gospel est un genre de la musique chrétienne, c’est un genre qui repose avant tout sur les vocalismes, et Jesus is King est un album de rap chrétien, du rap donc, traitant de sujets religieux, avec une influence dans la construction des instrumentales, mais ce n’est pas pour autant du gospel.

Ceci étant dit, comment aborder le projet de Mr West ? Commençons avec le format proposé : déjà la cover, un disque bleu royal, à la fois très sobre, mais que j’apprécie personnellement beaucoup. Cette cover fait forcément penser à un autre album de Mr West, Yeezus, mais nous y reviendront plus tard. Avec 11 titres et une durée totale de 27 minutes et 4 secondes, Kanye reste dans un format relativement court comme lors des 5 albums qu’il a produit l’été dernier (Daytona, Ye, Kids See Ghosts, K.T.S.E. et Nasir), chacun comportant 7 morceaux. Certains trouveront cet album trop court, me concernant j’en suis plutôt satisfait, je préfère ce type de format plutôt qu’un album à rallonge avec plus d’une vingtaine de titre, sans cohésions et dont le but est d’obtenir le plus grand nombre de stream.

Malheureusement la pochette ne fait pas l’album, et ce projet est pour moi l’un des pires de Mr West. Cela ne signifie pas qu’il est mauvais, mais au regard de la discographie de Yeezy, il souffre forcément la comparaison et se rapproche plus d’un Ye que d’un My beautiful Dark Twisted Fantasy.

L’idée de faire un album entier de rap chrétien n’était pourtant pas mauvaise, surtout au vu du passif de Mr West qui avait fait vibrer des millions de personnes à travers ses Sunday Services (la reprise de Lift Off m’a particulièrement touché) et qui avait sorti des morceaux de rap chrétien tels que Jesus Walks ou Ultralight Beam qui étaient des chefs d’œuvre. Alors comment se fait-il que la sauce n’ait pas si bien pris ? La faute a un album trop lisse, et ce à tous les niveaux. Au niveau des paroles, vous remarquerez que l’album n’a pas le sigle Parental Advisory, témoignant le langage correct employé dans l’album. Après c’est un album de rap chrétien, cela reste cohérent. Mais c’est tout de même frustrant de ne pas avoir ces lignes d’ego-trip ou polémiques typiques de Mr West (on peut se souvenir, rien que dans ces deux derniers albums les célèbres « I love your titties cause they prove I can focus on two things at once » de All Mine, « I said slavery a choice, they said how Ye ? Just imagine if they caught me on a wild day » dans Wouldn’t Leave, ou simplement le très efficace « I made that bitch famous » dans Famous.) En effet, Mr West reste très correct dans tout ce qu’il aborde, la religion donc, sans non plus être transcendant comme a pu l’être un Chance the rapper dans Utralight Beam.

Honnêtement, même si le niveau lyric est assez faible, ce n’est pas forcément ce à quoi on fera le plus attention sur un album de Mr West. Si l’artiste est considéré par beaucoup comme un véritable génie musical, c’est avant tout pour sa direction artistique, et notamment les productions musicales. Et là encore, c’est lisse. Si les productions sur Selah, Follow God et Use This Gospel sont vraiment magiques, les autres, sans être mauvaises, sont plutôt « classiques ». On ne retrouve pas de sample surprenant placé de manière inattendue (comme sur un Blood on the leaves ou un Famous), pas de réelles expérimentations musicales (On Sight, Feel the Love…), pas de côté organique (Through the Wire, Touch the Sky…), ni cette dimension musicale où il tire le meilleur d’un sample pour vous faire rentrer dans un univers si particulier (Flashing Lights, Power…).
Cet album est un peu l’exact opposé de Yeezus. Ce dernier se différencie en tout point, rien que par sa cover qui représente juste un disque quelconque comme on a tous vu trainait sur un bureau lors de notre enfance, et alors que le nom (Yeezus en référence à Jesus) laisse sous-entendre quelque chose de divin, c’est plus un disque « démoniaque » par son côté très sombre. Si cet album est une véritable expérimentation musicale, qu’il vous ai plut ou non, il ne vous a certainement pas laisser indifférent, le tout grâce à des productions à l’opposé de celles que l’on retrouve sur Jesus is King.

Et c’est là tout le problème avec Jesus is King, mis à part 3 ou 4 morceaux, il se laisse écouter sans réellement marquer. Les titres sont loin d’être mauvais et sont tous bons, mais il leur manque quelque chose pour être vraiment dignes de leur créateur.
Alors oui, ce 9e album de Mr West est bon, mais il y a quand même un sentiment de frustration qui peut s’en dégager. C’est peut-être dû à la précipitation dans sa création. Même s’il travaille dessus depuis plus d’un an, je suis persuadé que Mr West a produit l’album tel qu’on le connait peu avant sa sortie. Des titres comme Follow God et Use This Gospel ont pu être travaillés en amont, mais lorsqu’on voit que l’album a été repoussé de quelques heures pour des problèmes de mix et qu’on retrouve un sample d’une musique originale de Joker dans Hands On, il est probable que Mr West ait énormément changé de direction pendant sa création, avec certains titres étant produits probablement peu avant sa sortie. Après Ye qui semble avoir suivi un processus assez similaire, il peut être intéressant de se pencher sur cette nouvelle façon de travailler, avec des albums qui même une fois sorti sont encore modifiables (The Life of Pablo a été le premier album de ce genre, la tracklist, les instrus et les paroles ont été modifiés plusieurs fois après sa sortie), mais c’est une autre histoire.

Pour conclure sur une note positive, il convient de soulever les aspects positifs de cet album. L’ouverture avec Every Hour est prodigieusement énergique et apporte ce sentiment propre au gospel, Selah qui suit offre une montée en puissance vraiment jouissive et Follow God est certainement le meilleur morceau de l’album. L’ouverture est donc vraiment une réussite. Everything We Need, bien aidé par Ty Dolla $ign est très agréable à l’écoute, tout comme la production de Water, assez minimaliste mais qui apporte une sonorité qui colle parfaitement avec le morceau. Et enfin, Use This Gospel est tout simplement génial, il voit la résurrection de Clipse, le duo de Pusha T et son frère, et surtout le solo de sax de Kenny G ! Quel plaisir de l’entendre, venu de nulle part et qui apporte un supplément d’âme à ce morceau qui se portait très bien sans, mais qui n’en est que meilleur avec.

Mr West ayant annoncé un deuxième album (Jesus is Born) pour Noël, cela pourrait être le complément idéal à Jesus is king qui est, vous l’aurez compris, un bon album mais plutôt faible au regard du travail passé de l’artiste. A voir donc, à moins qu’il ne s’agisse d’un énième serpent de mer de la part de Mr West.