Avant même d’éclaircir le sujet que nous traitons aujourd’hui, il est important de remettre en contexte ce qui constitue la base même du genre musical le plus populaire en 2017. Communément considéré comme l’acronyme de « rythm and poetry », le rap est « l’expression même des sentiments, de ses propres émotions ou bien de celles des autres, d’une vérité (souvent décriée) ou même une ode à l’égo (« egotrip ») ». Nombreux sont les rappeurs qui cherchent à prouver qu’ils sont les meilleurs du « rap game » à coup de phases bien pensées (souvent qualifiées de « conscientes ») à l’image de celles d’Oxmo Puccino, Lucio Bukowski ou encore Kendrick Lamar pour nos amis américains. Cependant, nous ne sommes pas les premiers à constater que le rap persiste à difficilement être reconnu à l’unanimité comme un art en soi … Pourquoi ? Avec les problèmes actuels auxquels est confrontée notre société (sexisme, racisme, haine de l’autre…), nombreux sont ceux qui voient dans le rap un baratin vulgaire, violent et parfois même humiliant, particulièrement à l’égard du sexe féminin. A juste titre ? Lorsque nous constatons (non sans peine) que Kaaris a brillé dans les classements de ventes de single avec son « Tchoin », nous pourrions nous poser une simple question : la popularité dont jouit le rap actuellement ne devrait-t-elle pas servir à montrer exemple et défendre les intérêts de chacun tout en dénonçant certains problèmes récurrents ? Nous n’aurons pas dans cet article la prétention de détenir la vérité unique mais juste l’envie de se poser des questions peu conventionnelles.

  1. Les femmes rappeuses durant les années 1980

Nous sommes tout juste au milieu des années 80 et le monde de la musique est bouleversé depuis déjà quelques années par un genre tout nouveau : le rap. Du verbe « to rap » signifiant « baratiner, blâmer » (selon le Oxford English Dictionary), ce genre musical est tout nouveau car il offre aux tous premiers MCs (précurseurs des rappeurs) la possibilité de parler et non plus chanter sur de la musique. En s’inspirant de la funk, de la soul, du jazz mais aussi de la disco, des artistes comme Afrika Bambaataa populariseront le genre … Mais les hommes ne sont pas les seuls qui ont un mot à dire sur leurs expériences, leurs conditions de vie, sur la communauté dans laquelle ils vivent avec difficulté au quotidien. En effet, les femmes aussi sont agitées par une soif d’expression et une envie de dénoncer ce qu’elles ne considèrent pas, à juste titre, comme normal.

Missy Elliott

Il faut tout d’abord savoir que les premières femmes MCs n’étaient en rien extravagantes ou encore provocantes, comme certaines rappeuses actuelles pourraient l’être (Nicki Minaj, Cardi B ou encore Shay).  Côté vestimentaire, « simplicité » reste le maître-mot. Mais « lyricalement » parlant, le texte reste décapant, à l’image de ceux de leurs homologues masculins. En effet, les problèmes auxquels sont confrontés la gent féminine restent les mêmes : exclusion, chômage, racisme, sexisme … D’une certaine façon, rapper est pour certaines une façon de revendiquer un droit de parole, voire-même un moyen de se détacher peu à peu de sa féminité qui pourrait être considéré par certains comme une marque de faiblesse … à l’antithèse même de ce que représente la rappeuse Queen Latifah.

Né le 18 mars 1970 à Newark dans le New-Jersey, Dana Elaine Owens de son vrai nom est unanimement considérée comme une pionnière du rap dit féministe. Avec son groupe Ladies Fresh, Queen Latifah (« latifah » signifiant « délicat » en arabe) choque en se faisant une place dans un milieu extrêmement machiste. Musicalement parlant, les instrus’ utilisées sont inspirées du reggae, de la soul mais aussi du jazz, ce qui lui permettra de décrocher un Grammy Award pour l’un de ses titres phares, « U.N.I.T.Y.« .

2. Les femmes et le rap aujourd’hui

« Ferme un peu ta gueule, va m’faire un steak frites », « Suce ma bite pour la St-Valentin », « Rappelle-toi quand t’avais des courbatures, j’t’avais bien niqué ta race », « Salope ferme ta gueule, pour le prix d’un, j’te mets deux doigts » … Vous aurez sûrement donc compris que vulgarité et rap restent parfois synonymes. Nous pourrions encore offrir à cet article plus de citations mais le thème n’est pas de montrer en quoi le rap peut être gratuitement vulgaire, ce qui est d’ailleurs dénoncé par les médias conventionnels. En effet, tous ne comprennent pas ce que signifient en profondeur les mots choisis par des rappeurs comme Vald, Orelsan, Damso ou encore des poids lourds du rap américain comme Travis Scott, Lil Uzi Vert ou bien les Migos.

Metro Boomin dans « Call Me »

L’exemple le plus criant liant rap et gent féminine reste le cliché avéré du « clip » des titres de rap.  Nous pourrions vous citer une dizaine de clips sans aucune difficulté où la femme n’est malheureusement qu’accessoire, dans un souci d’esthétique.

A l’inverse, comme l’utilisation de la violence excessive dans les films de Tarantino afin de la dénoncer, les vidéos montrant nudité et parfois même sexe assumé ne sont-elles pas une façon de pointer du doigt un problème de fond, ou voire-même de désamorcer un problème qui n’en est pas vraiment un ? Nous nous expliquons. Chacun est libre de faire ce qu’il désire avec son corps et le jugement de l’autre n’est que nocif. Ainsi, « Vitrine » de Vald en featuring avec Damso est une belle illustration. Le clip a de suite choqué. Très esthétique, la vidéo met en avant une vitrine où les deux rappeurs sont enfermés, envoyés en pâtures à des actrices pornographiques, les contemplant avec désir tout en se caressant. Ce clip est, vous l’auriez compris, très symbolique. Comme les actrices (Anna Polina et Cara St-Germain), nous observons la vitrine, comme si nous voulions être à leur place. Celles-ci se touchent devant les deux compères et le subliminal réside là dedans. Nous aussi le faisons nous d’une certaine façon : nous voulons leur ressembler, nous répétons ce qu’ils disent alors même qu’ils ont une « triste vie, derrière vitrine, triste vie ». Autrement dit, nous pouvons voir dans ce clip un sens plus profond où sont visés ceux qui misent sur les apparences, sur un masque apparent, une vitrine devant le monde. Un sourire cachant la tristesse.

Et le problème, si nous pouvons utiliser ce terme, est là finalement. Le message peut être perçu au premier abord mais appelle malgré tout à voir l’implicite derrière l’explicite, à réécouter le titre plusieurs fois. Le génie réside là dedans finalement. On en fait beaucoup pour montrer à quel point cela reste ridicule. De plus, la production a décidé d’offrir un visuel assez choquant, mêlant sexe et vulgarité. Mais, rien n’est fait au hasard : ces actrices pornographiques restent des professionnelles qui ont un métier comme un autre et ce n’est finalement pas elle qui sont visés : c’est nous-mêmes. Nudité, sexe et vulgarité ne sont qu’outils et non un moyen de choquer et d’humilier. Et c’est ainsi que l’on comprend pourquoi Vald et Damso sont deux des meilleurs rappeurs du paysage francophone.

Damso

Afin d’étayer encore plus nos propos, nous allons prendre l’exemple de certains morceaux de Damso. Membre du collectif 92i créé par Booba, Dems est actuellement l’un des plus gros vendeurs de disques de l’Hexagone avec son deuxième opus, « Ipséité ». Si les radios sont inondées par son « Θ. Macarena », les titres les plus prodigieux du rappeur de Bruxelles demandent à chercher un petit peu plus loin, aussi bien pour comprendre l’utilisation de son lexique assez violent au premier abord tout comme le message qu’il cherche à faire passer. A nos yeux, le morceau le plus cinglant du Dems reste « Amnésie ».

Voici quelques paroles du dit morceau :

Trop jeune pour comprendre l’impact des mots
J’m’en fous de c’qu’elle veut tant que j’ai ce qu’il me faut
13 ans déjà mon premier rapport
Depuis mon cœur a fermé la porte
Aussi bizarre que cela puisse paraître
Après l’avoir ken’ j’voulais qu’elle disparaisse
Elle voulait qu’on s’aime mais je n’voulais pas
J’étais l’dernier à faire le premier pas
Plus les années passent et plus lourde est la tâche
J’la trouvais pas bonne et j’voulais qu’elle le sache
Dans la méchanceté j’me sentais si bien
J’étais loin d’imaginer son quotidien
Des larmes séchées sur ses poèmes
Qu’elle m’écrivait en recherchant plaisir clitoridien

Damso parle énormément de femmes dans ces morceaux. De ses conquêtes actuelles comme passées, à l’image de la muse de ce morceau. Teinté de tristesse, de mélancolie et de culpabilité, « Amnésie » est un aveu de faiblesse du rappeur où il admet se sentir responsable de la mort de sa première aventure. Sexe et violence restent encore les thèmes dominants de prime abord. Mais ce qui ressort dès que l’on tend l’oreille sont les sentiments de tristesse et d’amour qu’avait Damso pour cette fille … Car oui, nombreux sont les rappeurs qui ont paradoxalement uniquement de l’amour à offrir aux femmes, dont leur mère. Combien de rappeurs insultent les femmes dans leurs morceaux avant d’avouer en interview les respecter en prenant exemple de leur mère, souvent qualifiée de « femme forte et indépendante » ? Ainsi, Damso dira dans « Graine du Sablier », « Cherche l’amour d’un mauvais garçon mais j’en ai que pour celle qui m’a allaitée ». Les femmes ne sont-elles finalement pas mises en avant d’une manière particulière par ces rappeurs ?

3. « Tu vois cette image qu’ont les gens du rap ? Nous, on va changer ça ».

Tels sont les mots utilisés par Nekfeu à la fin de son « Egérie », tiré de « Feu ». Le rap évolue et le respect de la femme aussi. Aujourd’hui, nombreux sont les problèmes et les revendications qui éclatent au grand jour. L’une des plus évidentes est le féminisme. En effet, nous en parlons énormément dans les journaux, dans les journaux télévisés et même dans la mode, comme le montre ce t-shirt créé par Dior.

Rihanna pour Dior

Le monde du rap s’insère de plus en plus dans celui de la mode dite de « luxe ». Avec des fers de lance comme A$AP Rocky, de plus en plus de rappeurs prennent le contre-pied de ce que l’on a comme cliché du rap, qualifié de misogyne, matérialiste, violent.

Aujourd’hui, le monde ne veut plus de clichés. De stéréotypes. De factice. On a tous besoin de concret, de réel, de naturel. Kendrick Lamar le rappe clairement dans « HUMBLE. » :

« I’m so fuckin’ sick and tired of the Photoshop
Show me somethin’ natural like afro on Richard Pryor
Show me somethin’ natural like ass with some stretch marks »

Et les mentalités évoluent également. Les rappeuses actuelles revendiquent des idées peu conventionnelles mais tout à fait légitime. Si les rappeurs peuvent se « taper des meufs », pourquoi les femmes ne peuvent pas se « taper des mecs » ? L’exemple le plus évident et qu’il nous vient tout de suite à l’esprit est celui de Cardi B, ancienne strip-teaseuse et actuellement la rappeuse n°1 aux Etats-Unis avec son titre « Bodak Yellow ». A ceci s’ajoute un EP « Gangsta Bitch Music Vol.1 » dotée d’une pochette très évocatrice.

Cardi B

Beaucoup critiquent la rappeuse en la qualifiant de stupide, vaniteuse, matérialiste ou encore de sal*pe. Mais comme certains l’affirment avec justesse, « haters gonna hate ». Taylor Swift lui aura même offert un bouquet de fleurs pour la féliciter de son récent succès. On se quitte ainsi avec le titre phare de la rappeuse qui a encore de beaux jours devant elle après un tel morceau.