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La tradition de la musique minimaliste se poursuit bien après les années 1970, et donne naissance à de nouveaux mouvements qui apparaissent successivement.

Ces derniers se développant jour après jour, il serait risqué d’en établir une synthèse complète. Il s’agit simplement d’en connaître les grandes lignes et d’en comprendre l’origine pour expliquer celle de la minimale actuelle.

La techno minimale émerge au début des années 1990. Elle marque la volonté des artistes pionniers de revenir à plus de pondération et de sobriété dans leurs morceaux. Peu après l’apparition de la techno au milieu des 80’s, certains djs souhaitent dévier de la trajectoire « rave » de l’époque vers laquelle le courant de Détroit semble se diriger. Ils se tournent donc vers une écriture plus épurée, qui conserve uniquement l’essentiel. Le tempo est plus lent, les basses plus longues et les variations de rythmes moins présentent.

Il est difficile de déterminer l’origine exacte du mouvement. Souvent considéré comme le père fondateur pour son double-maxi Minimal Nation, sorti en 1994 sur le label Axis, Robert Hood l’a sans conteste universalisé. Cette année marque un tournant fondamental pour lui et pour le genre musical, avec la sortie de son album Internal Empire sur le label Tresor et la création de son propre label M-Plant. Ses productions précédentes, avec Underground Resistance, étant davantage centrées sur de la techno pure aux influences acid et house, nées de l’inspiration des ses confrères de Détroit Jeff Mills et Mad Mike. À partir de cette période, Robert Hood se consacre essentiellement à sa carrière solo et à l’élévation de ce nouveau courant.

« What I’ve always wanted to hear : the basic stripped down, raw sound. Just drums, basslines and funky grooves and only what’s essential. »

Robert Hood – Interview in Spannered – http://www.spannered.org/music/802/

Maurizio ‎– Domina1993

On trouve cependant des œuvres antérieures appartenant au même registre.
En 1992, paraît le Maxi Domina, du duo allemand Maurizio, formé par Moritz Von Oswald et Mark Ernestus, qui peut être considéré comme la première parution techno minimale. En 93, ils sortent sous leur nom plus connu Basic Channel, l’EP Q 1.1, dans la continuité de ce style.
La même année, deux autres artistes poursuivent la même démarche. En mai, le Canadien Richie Hawtin lance, sur son propre label Plus 8 et sous son pseudonyme F.U.S.E, un premier album très varié, Dimension Intrusion, aux sonorités techno, acid et minimal. Une expérience nouvelle donc, qui prône le mariage des genres. Si des associations existaient déjà entre techno et house ou acid, la minimale restait encore un thème peu exploré. En Octobre 93, il sort son deuxième album, sous le personnage cette fois de Plastikman, intitulé Sheet One, toujours axé autour de ces mêmes alliances de sons.
Le second artiste, Daniel Bell, est un américain, né à Sacramento, et lui aussi considéré comme l’un des précurseurs du mouvement. Il se distingue du précédent en se concentrant essentiellement sur ce registre sans explorer davantage les combinaisons possibles. Influencé par la musique minimaliste et la house, ses compositions s’apparentent plutôt à celles de Robert Hood qu’à l’approche expérimentale du Canadien. Il sort, également en 93, deux maxi sous son nom d’artiste DBX, Bleep et Ghetto Trax, véritablement ancrés dans ce nouvel univers.

Cybersonik – Backlash ; 1991

Ainsi les origines du mouvement sont ambiguës et diverses, et si Robert Hood en est l’un des pionniers, d’autres en ont fait l’expérience avant lui. Cependant à y regarder de plus près, cette confusion générale dissimule tout de même une certaine analyse. Tout d’abord la corrélation entre les sorties de Richie Hawtin et Daniel Bell la même année, s’explique très simplement. Si le premier est originaire de Grande-Bretagne et le second de Californie, tous deux, après avoir grandis dans l’Ontario, se retrouvent très vite de l’autre côté de la frontière, à Détroit. Âgés d’une vingtaine d’années, ils forment alors le groupe Cybersonik en 1990, accompagné de John Acquaviva – avec lequel Hawtin fonde Plus 8, quelques mois auparavant. Malgré leur séparation en 92 et la décision de Bell de créer son propre label 7th City, leurs inspirations restent communes et expliquent leurs premières impulsions vers la minimale un an plus tard.

D’autre part, la primauté que l’on accorde à Robert Hood se justifie. Comme évoqué précédemment, elle est en partie due au fait qu’il est le premier à revendiquer le terme clairement dans son album Minimal Nation. Il y a également consacré la grande majorité de ses productions après la création de son label. De plus, sa renommée au sein du collectif Underground Resistance, lui confère une certaine légitimité. En effet, Richie Hawtin et Daniel Bell rejoignent la « Motor City » sous l’impulsion des pionniers de la techno et de la seconde vague incarnée par UR.
Après avoir découvert Derrick May dans un club, Hawtin, alors âgé de 18 ans, devient lui aussi DJ et prend Jeff Mills pour modèle. Il crée ensuite très vite son label Plus 8 à 20 ans, un an après sa rencontre avec Acquaviva, et collaborera alors avec Daniel Bell sur leur projet Cybersonik. On peut donc considérer que Hood détient une certaine influence sur ces artistes dans leurs compositions futures.

http://www.thelsb1.com/

Enfin, et concernant le duo germanique mentionné, une certaine tendance semble se dégager. En effet, la construction du courant se fait une fois de plus sur la relation entre l’Allemagne et les Etats-Unis et plus précisément entre Berlin et Détroit. Comme la techno avant elle, la techno minimale repose sur une nouvelle génération de musicien germano-américain qui la portent et s’influencent mutuellement. Si Juan Atkins, Derrick May et Kevin Saunderson ont su s’imprégner de la musique de Kraftwerk pour créer la Techno de Détroit, Robert Hood, Richie Hawtin et Daniel Bell ont su à leur tour s’inspirer du travail de Basic Chanel. En effet, le premier EP, Ploy, du duo allemand en 1992 reflète bien ce rapprochement puisqu’on y découvre le remix du titre éponyme par Underground Resistance. Un an plus tard, c’est sous leur projet Cyrus qu’est présenté le remix d’Enforcement par Jeff Mills.
D’autre part et pour quitter l’univers U.R., on retrouve également le remix de Carl Craig sur le maxi Domina, première œuvre du genre évoquée plus haut.

La collaboration entre les allemands et les américains de Détroit s’est donc fait dès les débuts des deux artistes. L’intuition de la techno minimale chez le duo germanique n’a pas jailli indépendamment de toute conscience américaine. Il semble au contraire que le mouvement résulte d’une démarche commune aux deux régions. Le courant s’est donc construit ainsi, de la participation collective et conjointe des deux pays.

Journalist. – How does it feel to be considered the godfather of minimal techno?
Robert Hood – I’ve never heard that before. I heard that I was ONE OF THE originators of the minimal sound. It feels good ; it’s flattering.

Interview in Spannered

Jusqu’en 1995, l’essentiel des productions minimales est donc monopolisé par ces artistes et paraissent toutes sur leurs labels respectifs.

Cette année là, un autre label et un nouvel interprète font leur entrée sur le marché avec un nouveau projet. Si les productions des pionniers entretiennent un rapport étroit entre minimale et techno, ces derniers arrivants apportent l’idée novatrice d’orienter davantage leurs compositions vers la house. C’est dans cette optique que sort en 95 sur le label Playhouse, le LP de Villalobos The Contempt.

  • Playhouse est un label allemand fondé en 1993 par Heiko Schäfer – aka M/S/O – et Atanasios Christos Macias – aka Ata. Label sœur de Klang Elektronik – orienté techno – il est axé exclusivement sur la musique house sous toutes ses formes. Pour l’intérêt de l’article, nous insisterons ici surtout sur son positionnement minimaliste, qui constitue tout de même une grande partie des productions du label.
Isolée ‎– Beau Mot Plage ; 1998

L’année suivante, un autre artiste prolonge cette démarche en insistant plus encore sur le minimalisme. Isolée sort son premier Maxi System sur Playhouse en 96. Ses Eps suivants confirment l’impulsion du compositeur vers cette nouvelle expérience musicale jusqu’à la sortie en 98 d’une œuvre majeure, Beau Mot Plage, toujours sur le même label. Ce vinyl, et plus précisément le track éponyme présent dessus, est considéré aujourd’hui encore comme un morceaux charnière d’un nouveau genre. En effet bien que dans la continuité de ses productions précédentes, ce titre incorpore de nouvelles sonorités électroniques, empruntent d’inspirations nouvelles, comme le glitch et le bitpop, et caractéristique de la patte microhouse. La même année, Ricardo Villalobos signe l’EP Heike sur Lo-Fi Stereo, également très porté sur le genre.
Parallèlement, deux autres dj, basés en Allemagne toujours, s’imprègnent progressivement de cette culture, jusqu’à créer leur propre label, Perlon. Les premières productions de la marque, sont majoritairement à l’actif des deux créateurs. En 1997, année de création du label, ils sortent tout deux un premier EP. Rood / Say One / Just Wanna pour Markus Nicolai, première parution de Perlon, puis Thomas Franzmann – aka ZIP – signe sous le nom de Dimbiman, Good Morning, Eyeball en 97 et Köppchen l’année suivante. Très axé sur la minimal, à laquelle s’associe la techno et la house, leur travail ne comporte toutefois pas les sonorités bitpop propre à la microhouse, qui reste l’innovation des deux premiers artistes.

L’année 98 est d’autant plus charnière qu’elle est marquée par l’arrivée d’un autre label majeur – encore allemand – de la scène minimale. Sur le modèle du précédent, les premières productions sont l’œuvre de l’un des créateurs, Jürgen Paape, qui achève Triumph, fin 98 sur Kompakt puis Glanz trois mois plus tard. L’EP suivant du label est également le fruit du travail d’un autre fondateur, Michael Mayer, qui lance son maxi 17&4 quelques mois après. On retrouve bien ici le courant microhouse, initié légèrement plus tôt, et ses séquences électroniques singulières.

L’évolution du mouvement est ensuite largement dominée par les labels et artistes cités plus haut. À noter également en 98, la création de Minus, nouveau label de Richie Hawtin, qui rassemblera notamment une grande partie de ses créations minimalistes. Deux ans plus tard c’est un label anglais cette fois, Fabric, qui marquera une étape importante de la production minimale. Pour le reste je vous laisse piocher parmi ces grandes appellations, si ce n’est pas déjà chose faites.

S’il fallait retenir une œuvre fondamentale de la microhouse, ce serait probablement l’album Alcachofa de Ricardo Villalobos, sortis sur Playhouse. Comment ne pas consacrer le patriarche du mouvement au sommet de son art lorsqu’il offre en 2003, l’une de ses plus belles réalisations. Cinq ans après l’apparition du courant, Villalobos a pu peaufiner sa maîtrise du genre en produisant un certains nombres d’EPs sur Playhouse et Perlon. Il propose alors une vision claire et légère, subtile et sensible de son travail qui captive l’auditeur de bout en bout. Véritable voyage initiatique les morceaux oscillent entre mélodies répétitives, percussions limpides, défaillances électroniques et vocals envoutantes. Le titre même de l’album est très révélateur des intentions de l’artiste. Le terme d’Alcachofa – artichaut en espagnol – laisse bien entrevoir l’idée d’une démarche progressive et répétitive, qui ne dévoile son cœur qu’après une longue décomposition minutieuse. Il en va de même du son épuré de la minimale qui ne se concentre que sur l’essentiel.

Enfin, pour parachever cette présentation il est une constatation intéressante concernant ce même artiste. En effet, Villalobos recoupe à lui seul une grande partie des observations vues précédemment si l’on reprend les remarques relevées dans le préambule auparavant. Tout d’abord concernant la formation musicale, l’artiste s’initie à l’âge de dix ans aux congas et au bongo. Une première expérience très axée sur les percussions donc, dans la lignée de l’éducation musicale de Steeve Reich et des influences minimalistes. Il est également très inspiré par la culture jazz, au même titre que Terry Riley, et leurs compositions trouvent écho dans l’improvisation constitutive du genre mais également dans la récurrence des vocals et des séquences pianos. Né au chili, il est guidé par une impulsion extra-occidentale – cf article précédent – confirmée par son initiation aux instruments cubains.  Enfin, arrivé très tôt à Berlin, il incarne ce renouveau de la musique électronique européenne, caractérisé par un flux migratoire récurrent vers la capitale germanique. Autant de constatations qui illustrent l’avènement d’un artiste à part entière, à la croisée des genres, comme l’est ce mouvement musical complexe et fascinant.

Adrien Bletton