Ses fans l’apprécient pour le rôle qu’il joua dans l’évolution de la musique afro-américaine. Les rappeurs lui rendent hommage en samplant ses plus grands morceaux. Johnny Guitar Watson fait partie de ces musiciens qui ont marqué une époque de leur empreinte donnant à une nouvelle vague d’artistes l’envie de s’engouffrer dans les brèches entre-ouvertes par le compositeur texan, tant au niveau du blues que de la funk et de la soul music.
Retour sur la carrière d’un immense guitariste écorché vif devenu une icône avec des titres comme Gangster Of Love ou A Real Mother For Ya, mais étrangement absent des consciences populaires.

John Watson Jr. naît à Houston au Texas en 1935 . Son père, John Watson Sr., est pianiste et enseigne le piano à son fils. Le fiston n’en a que faire, lui ce qui l’intéresse et le fait vibrer, c’est la guitare électrique à l’époque mise en lumière par des musiciens tels que T-Bone Walker et Clarence Gatemouth Brown. Surnommé « Guitar », Johnny Watson grandit à Los Angeles au son du jazz blues de Dexter Gordon, B.B.King, Dizzy Gillespie, Count Basie ou encore Charlie Parker. Il se lance sous le nom de Young John Watson, d’abord au piano puis à la guitare après avoir trouvé son style en tournée avec Guitar Slim. Voilà rapidement pour le cadre.

Ain’t Movin’ on Johnny « Guitar » Watson and the Family Clone - 1981 ♫


Soyons honnêtes, les infos en tous genres sur le bonhomme se font très rares, aussi bien sur Internet que dans des ouvrages écrits. Watson aurait-il été oublié de l’Histoire ? Je commençais à y croire jusqu’au jour où je fis une découverte fascinante : la seule biographie connue à ce jour du maestro, écrite par Vincent Bakker en 2009 (The Gangster of Love : Performer, Preacher, Pimp), un aficionado de Watson depuis 1977. Il relate la vie de l’artiste à travers le témoignage de trois femmes qui ont côtoyé Watson en révélant plusieurs anecdotes croustillantes sur le personnage.

Un trait fascinant chez Johnny Guitar Watson, est, pourrait-on dire, ses modes de vie pluriels qui lui ont inspiré bon nombre de ses compositions. J’aimerais m’arrêter sur cet aspect là : la vie de cet homme, construite autour d’une éternelle problématique, une incessante navigation entre les extrêmes. Le bien, le mal … Watson ne faisait guère dans la demi-mesure, se nourrissant de pulsions l’entraînant parfois jusqu’aux aux bas-fonds de la société.

Une image, une seule, celle de sa maison. Sur sa table de chevet, une Bible se trouvant nez à nez avec un livre sur l’histoire du Blues, The Devil’s Music. Au rez-de-chaussée, il vivait avec sa mère en pleine harmonie avec Dieu. A l’étage, entouré de drogues en tous genres, on l’y prenait à côtoyer le Diable. Pour résumer, notre héros devait se frayer un chemin entre ses deux passions, deux extrêmes : Gospel ou Cocaïne, Prêcheur ou Proxénète, Play boy romantique ou Star égocentrique. A vrai dire, Johnny n’a jamais choisi un camp où se ranger, préférant toujours alterner hauts et bas, drogues et cures … c’est cette vie d’écorché vif qui intégra le bonhomme au statut de première RockStar au sens où on l’entend aujourd’hui.

 

Macho assumé, égoïste convaincu, il se servait de ces leviers pour incarner un personnage et ainsi stimuler ses performances scéniques très visuelles (voir le live plus bas). L’homme qui l’a découvert, Johnny Otis, fait part de la jalousie et de la profonde admiration qu’il suscitait à l’époque chez ses confrères musiciens. Trop de talent pour un seul homme ?

« John Watson was a player, a dealer, and hustler … He was also a pimp (proxénète) ! » Michael King

Johnny Guitar Watson était un compositeur brillant, fourmillant d’idées pour sa musique, les riffs de guitare venaient à lui naturellement (voir chapitre « drogues » plus bas) et les mélodies groove et lancinantes du Watson Band se superposaient assez facilement à ses pulsions créatrices. Mais pour enregistrer et mettre en boîte toutes ses créations, il lui fallait de l’argent, et malheureusement pour lui, l’industrie musicale jouait déjà à l’époque son rôle d’intermédiaire intrusif ne laissant que des miettes aux auteurs-compositeurs. C’est un point important : Watson n’a jamais connu le succès aux Etats-Unis, les labels Blues préférant mettre en avant des artistes comme Chuck Berry ou Stevie Ray Vaughan. Venons en à l’essentiel. Pour trouver l’argent, Watson s’est contenté d' »incarner » son personnage, à savoir un performer bluesy, prédicateur mystique et maquereau accompli. Oui oui, vous avez bien lu. Johnny Guitar payait la plupart du temps ses sessions d’enregistrements grâce à l’argent récolté par ses « filles ». Une sorte d’échange de bons procédés entre le guitariste et ses femmes qu’il élevait très souvent au rang de muses dans ses chansons. Une relation Mac-Prostituées qui allait bien plus loin que ce que l’on s’imagine, le texan étant fortement dépendant de ses golden ladies. Pimp or Pimped ? … Quelle partie avait le plus besoin de l’autre ? Watson ou ses filles ? D’un côté l’obsession pécuniaire de Watson, de l’autre l’envie d’une protection virile, le désir de vivre une vie hors du commun au côté d’un artiste multi-fonctions pétri de talent.

 

Il semble évident de souligner la très riche discographie du showman texan. De ses premiers enregistrements en 1958 jusqu’à Bow Wow son dernier opus en 1994, il aura signé vingt-cinq albums studio d’une qualité assez variable d’un opus à un autre, mais très consistante sur la durée. Le point d’orgue : en pleine décennie 1970, il sort son chef d’oeuvre funky Ain’t That A Bitch (1976) qui deviendra son premier véritable succès avec quelques uns de ses plus gros hits comme Superman Lover, I Need It ou I Want To Ta-Ta You Baby (écrite pour Tasha, une de ses ladies). Sur l’enregistrement, Watson assure notamment la guitare, la basse, les claviers ou même les congas en plus des parties de chant dans lesquelles sa voix légèrement nasillarde faisait jaillir des accents disco-funk nouveaux pour l’époque.


Fort de cette réussite, il enchaîne en 1977 avec le très bon A Real Mother For Ya, qui fait la part belle aux synthétiseurs qui forment la ligne de basse. Le message est plus édulcoré que l’album de 76, mais le groove y est si entraînant qu’on ne peut y rester insensible. Les solos un peu space, aidés par des bends de guitare monstrueux de Watson, font encore la différence. La trouvaille, c’est le vocodeur qui fait son apparition sur Your love is my love, et influencera plus tard Cameo ou Roger Troutman dans les années 80.

Un très grand bonhomme donc, qui ne perdait jamais une minute pour composer. Je devine le moment idéal pour évoquer le rôle des drogues dans sa vie. Allons-y.

Nous sommes au beau milieu des sixties, Watson a alors à peine 30 ans. De rencontre en rencontre, il fait la connaissance de Larry Williams pianiste et compositeur de rock n’ roll et blues américain qui joue dans un style proche de celui de Little Richard, et connu pour des chansons telles que Dizzy miss Lizzy et Short Fat Fannie. Mais en termes de revenu, ce bon Larry tire davantage profit de son business mêlant trafic de drogues et proxénétisme. Williams a acquis un style de vie situé bien au-delà du niveau de son succès musical, avec le must have essentiel à tout Old Gangster qui se respecte: la maison de luxe à 500 000 $ dans le quartier branché de Laurel Canyon de Los Angeles avec un garage assez spacieux pour étaler sa flotte de Porsche, Cadillac et Rolls-Royce. Il était dans ce garage le jour où il retrouva sa mère, au début des 80’s, avec une balle de calibre .38 dans la tête. La police a classé l’affaire comme un suicide, mais les amis et la famille de Larry croyaient surtout à un règlement de compte lié au trafic de drogues.

« Toute la musique de John a été composée sous l’influence de drogues », un ami à lui.

Les deux hommes ont fait un bout de chemin ensemble sans vraiment marquer l’attention. Mais l’héritage de Larry Williams sur Watson est indéniable, au point même de faire adopter au jeune Johnny ce style caractéristique du gangster lover: pimpsuit classique de préférence blanche, grosses bagues et chaînes en or, accompagné de son chapeau mythique. Des années plus tard, il fera correspondre ces vêtements avec une très stylée pimpmobile turquoise aux couleurs criardes, l’un des six modèles Stutz Bear Cats jamais construits. L’attirail complet pour maquereau accompli.
Et il est également probable que ce fut à cette époque que le guitariste a commencé à devenir fortement dépendant à la drogue (en particulier la cocaïne), bien que contrairement à beaucoup de stars de l’époque, il en soit ressorti relativement indemne. Laissons l’intéressé évoquer le sujet.

« A cette époque, tout le monde se camait, » a t-il admis. «Je ne connais personne qui y ait échappé … Quelqu’un qui dira le contraire est un menteur. Tout le monde reniflait de la coke et fumait de l’herbe … Je suis juste reconnaissant envers Dieu pour avoir veiller sur moi pendant cette période et avoir su préserver ma santé mentale. «

On ne saura jamais à quel point cette vie usante aura entamé sa santé physique, d’autant plus qu’il avait depuis longtemps arrêté la dope, mais c’est à 61 ans qu’il décède, sur scène, victime d’un malaise. Il donnait un concert au Blues Cafe de Yokohama au Japon ce Transporté à l’hôpital, il succombe.

Au final, un héritage immense, tout comme le nombre de guitaristes qu’il aura influencé (Frank Zappa le considère au passage comme son père spirituel), Johnny Guitar Watson n’était pas seulement un musicien de blues music un peu exubérant, c’était un acteur, un magicien capable d’incarner le rôle titre d’une fiction qu’il aurait pris soin d’imaginer et de transposer au monde réel.

 

Rédigé par

Jean Grangeon

Pôle programmation // Smooth Vibes // Matinale // Pôle Partenariat à Vinyl On Mars