[note3]Les quinze ans de son label approchant, le légendaire Marshall Bruce Mathers III a jugé bon de sortir pour l’occasion Shady XV, un double album attendu pour le 24 novembre. Un premier disque retracera les morceaux ayant marqué le label tandis qu’un second, plus novateur, regroupera quelques titres des artistes qui y sont signés ainsi que de nouvelles saveurs distillées par Eminem.

Nous avons eu la chance de nous procurer le projet en avance, et, tout en ménageant suffisamment de suspens pour que chacun puisse pleinement en savourer le contenu, voici ce que nous en avons pensé :

 

Disque X

Puisque c’est davantage le label que son instigateur qui est à l’honneur, autant en rappeler les principaux protagonistes présents sur le projet :

Slaughterhouse, formé en 2008 et comportant Royce da 5’9’’, également membre de Bad Meets Evil. On se souvient de leur présence au Stade de France pour le concert exceptionnel d’Eminem à l’été 2013.

Yelawolf, rappeur de 34 ans, sur le point de sortir un troisième album studio en collaboration avec Big K.R.I.T.

– On retrouve également D12, groupe dans lequel se trouvaient Eminem ainsi que Proof avant le décès tragique de ce dernier.

Shady XV commence par un morceau éponyme, avec en fond un écho de pop américaine couplé à un rythme très marqué sur lequel le MC de Détroit ne tarde pas à débiter follement. On préfère vous prévenir : la technicité de ce premier disque s’avère impressionnante.

Le ton est donné d’entrée grâce à un retentissant : « Been rapin’ so long I’ve been killin this shit ». Eminem n’a donc rien à prouver.

Malgré ce flow très technique, presque haché, qui le caractérise depuis son dernier album, cette entrée en matière nous inspire quelques bouffées de nostalgie : le court cut de Fack (Curtain Call : The Hits) tout d’abord, puis la fin du morceau, exécutée a capella, qui endosse des faux airs d’8 Mile lors de la battle finale « Cut The Track Off ».

On relève donc presque immédiatement la touche très contemporaine qui sera donnée à l’album, et malgré quelques références au passé, l’artiste semble assumer la tonalité de son album dès le début.

Psychopath Killer, deuxième titre comporte des scratchs de la voix de Dr Dre, allusion directe à l’ascension de Slim Shady.

Le son suivant, Die Alone, allie un refrain chanté donnant un côté très émotionnel contrastant avec le flow volontairement très dur d’Eminem. Il illustre un modèle que le rappeur s’est attaché à développer depuis Recovery avec la présence de voix féminines.

Le quatrième morceau, Vegas, est assuré par Bad Meets Evil, un duo créé en 1998 entre Eminem et Royce da 5’9″. L’instru paraît sombre, et on pourrait lui prêter des accents de certains titres de D12. Quoi qu’il en soit, c’est un réel exercice de style développé tout en puissance par la paire de Détroit : 5 minutes durant lesquelles Em’ délivre ses lyrics en passant d’un débit effréné à un flow davantage saccadé pour terminer à contretemps.

Passons à présent à Y’all ready know : pour les puristes, c’est une semie délivrance : quelques notes de piano sont jetées d’entrée, accompagnées de scratch, puis des voix du supergroupe Slaughterhouse. Cette track sonne comme un retour en arrière et c’est un soulagement de renouer avec une dimension plus old school au sein de l’album.

Rien à rajouter sur Guts Over Fear (sorti bien en amont, en collaboration avec Sia) si ce n’est qu’il contraste forcément avec le titre précédent et rentre dans le cadre des collaborations avec certaines chanteuses amorcé avec Rihanna en 2010.

S’ensuit Down, qui permet de mettre en avant le très bon Yelawolf. Ici, le protégé de Shady Record propose un rap très incisif sur une instru rock comme en témoignent les gémissements de guitare électrique qui ne sont pas sans nous rappeler Sing For the Moment. Down est un de ces titres qui prouvent que que le hip-hop est suffisamment arrivé à maturité pour se mélanger avec succès à d’autres genres.

Nous parvenons maintenant à Bane, la surprise de ce premier disque. Avec D12 à la baguette, on pouvait s’attendre à un retour aux racines. Que nenni ! L’instru est au contraire très électro, très sèche, et supplée par de puissantes basses. À noter également la présence de vocodeur et cette phrase du refrain très révélatrice de la démarche empruntée : « I’m running from my past ». Ce morceau se situe donc aux antipodes de ce qu’on pouvait se figurer tout en correspondant néanmoins au corps général de l’album.

Après Y’all Ready Know, le deuxième regain d’authenticité se trouve dans Fine Line. Quelques notes de piano composent un rythme très simple qui laisse toute sa liberté au rap si particulier d’Eminem. Ce titre qui aurait eu toute sa place dans la tracklist de The Marshall Meathers LP doit sa structure à un refrain enrichi par une guitare électrique, une batterie davantage présente que dans le reste du morceau et à la présence de chœurs qui réchauffe le titre.

À noter Twisted, avec Skylar Grey (qu’on trouvait déjà dans Asshole sur le MMLP2), ne plaira sans doute pas à tout le monde : entrecoupé de parties chantées, le refrain se caractérise par des envolée à la guitare et la voix moins agressive d’Eminem. Un morceau qui rentre directement dans la veine de Guts Over Fear et autres… Une modernité qui a de quoi contrarier les amoureux du hip-hop à l’ancienne.

Le titre Right for Me est une véritable démonstration de la part de Shady, durant laquelle il fait étal de toute sa technicité comme il le fait lui-même remarquer : « The way i flip my tongue on the track, it’s like verbal acrobatics ». Il termine d’ailleurs avec un triomphal : « No need for an assumption, here’s confirmation, i’m up for the long duration ». Rien à rajouter.

Juste après vient Detroit vs Everybody, une référence à la ville natale d’Eminem. C’est pour lui l’occasion de revenir le temps d’un couplet sur sa vie antérieure, comme il le fait remarquer : « It was before my life became a movie ».

La liste des invités n’est par ailleurs pas anodine : on retrouve Trick Trick (Welcome to Detroit avec Eminem, The People Vs., 2005), Big Sean (Control, 2013 « rep detroit, everybody, Detroit versus everybody ») et enfin Dany Brown, issu lui aussi de la Motor City. Malgré les difficultés économiques et sociales, la ville continue ainsi à se battre et à vivre.

Cette première partie s’achève sur Till It’s Gone de Yelawolf, sorti sous la forme d’un clip en 2014.

En conclusion de ce disque 1, on peut rappeler qu’il s’agit de va-et-vient entre le Eminem du début des années 2000 et une réaffirmation de sa nouvelle orientation, entamée depuis son retour en 2009 avec Relapse.

C’est en effet la teneur très électronique des instrus, et l’absence notoire de groove qui nous fait dire qu’on ne retrouvera pas le Eminem de The Slim Shady LP ou de The Eminem Show. À la production Eminem principalement mais aussi DJ Premier, Just Blaze et Statik Selektah que l’on retrouvera en passant dans une prochaine Boiler Room en compagnie de Joey Bada$$.

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Disque V

Le second disque est beaucoup plus rapide à passer en revue.

On retrouve avec plaisir des titres d’Obie Trice et de D12 tels que Wanna Know ou Fight Music. Et l’intérêt de la présence de ces titres sur le projet se trouve dans le contraste qui se dégage entre les disques 1 et 2.

Plus surprenant, on remarque des titres de 50Cent (P.I.M.P, I Get Money), signé sur le label Shady Records.

Enfin, pour ceux qui n’ont jamais eu l’occasion de l’écouter, la version demo de Loose Yourself est elle-aussi présente.

Que cet album soit bien reçu ou non par la critique, il faut dans tous les cas s’efforcer de se souvenir du coup d’arrêt qu’à subit la carrière d’Eminem et des difficultés qu’il a rencontré avant de faire sa réapparition. Il est donc bon de considérer chacune de ses sorties comme le pari réussi d’un artiste pour relancer sa carrière et garder sa place dans un genre musical en mutation.

Rédigé par

Brendan Roué

Président // Pôle Partenariat // Référent Back to Black