
De K. Dot à Kendrick
Conrow Kenny, K. Dot, King Kendrick, Man Man, Mr 1-5, Kung Fu Kenny… Autant de noms pour décrire une seule et même personne : Kendrick Lamar Duckworth. Le rappeur originaire de Compton n’a toutefois pas toujours assumé pleinement d’être simplement Kendrick, et s’est d’abord fait connaître dans le rap jeu en tant que K. Dot. Comment en est-il donc arrivé à être Kendrick Lamar ? C’est ce qu’il nous raconte à travers son premier album en major, « Good Kid m.A.A.d. city ». Nous allons donc nous employer ici à retracer l’histoire de « GKMC » afin de comprendre au mieux celle que Kung Fu Kenny nous a livrée en 2012.
« l’histoire se finit là où elle commence »
Si son album suivant, To pimp a butterfly, ressemble plus à un roman dans son écriture, GKMC est définitivement plus proche d’un film. On retrouve cette idée sur le visuel de l’album où l’on peut voir le sous-titre « a short film by Kendrick Lamar ». Ambiance. Cette dimension cinématographique est apportée par plusieurs éléments, notamment les skits, ces parties de chansons où l’on n’est plus dans le musical mais dans le narratif pur puisque ces skits sont des conversations de Kendrick et ses potes, des messages laissés sur le répondeur de Kendrick par son père ou sa mère… Bref, ce sont eux qui posent vraiment l’histoire et qui font oublier que l’on écoute juste un album de musique. L’écriture est elle aussi très narrative et on arrive facilement à se mettre à la place de Kendrick dans ses péripéties. Enfin, un peu comme un film de Q. Tarentino, l’histoire n’est pas linéaire, et fait souvent des retours en arrière, et l’histoire se finit là où elle commence. Comprenons donc que le dernier morceau est aussi le premier, ce qui fait que l’écoute peut s’écouter en boucle très naturellement. L’histoire peut très bien se comprendre dans le sens de lecture de l’album, et a même était pensé ainsi, pour avoir toujours plus cette dimension de film, où l’on comprend certaines choses en progressant dans l’intrigue, cependant, nous allons nous concentrer ici sur la version chronologique pour bien comprendre comment K. Dot est devenu Kendrick Lamar.
Avant de commencer l’histoire, il faut se mettre dans le contexte : on suit les aventures d’un jeune de Compton de 16 ans, Compton étant une ville située non loin de Los Angeles qui est connue pour son taux de violence élevé et ses problèmes de gangs. C’est dans cet univers que va évoluer K. Dot.
Intro
Le film (ou l’album ?) commence donc par la dernière piste, Compton, qui est la scène d’ouverture des crédits (les noms qui défilent en début et fin de film). Aussi avons-nous le droit à un générique pour débuter notre aventure, l’histoire continue quant à elle à la fin du morceau, avec le premier (ou le dernier ?) des skits, mais nous y reviendrons car l’histoire commence vraiment dans le deuxième morceau, Bitch don’t kill my vibe. C’est le seul morceau de l’album dont les lyrics n’ont aucun rapport avec l’histoire puisque Kendrick parle avec son point de vue actuel.
Cependant, le skit pour clôturer le morceau marque le début de l’histoire. On y entend un pote de Kendrick qui lui dit de monter dans la voiture puisqu’il a un pack de blunt et un CD avec des instrus : c’est le moment de préparer son freestyle (“K.Dot, get in the car n*gga. C’mon it’s time to roll out. I’ve got a packet of blacks and a beat CD, get you freestyle ready!”) Kendrick embarque ainsi et nous livre la suite dans le morceau directement après : Backseat Freestyle, qui comme son nom l’indique est un freestyle qu’il rappe depuis le siège arrière de la voiture de son pote. Kendrick rappe comme un adolescent de 16 ans, ne parlant que de choses ostentatoires (dans une interview, il avait déclaré qu’il essayait d’être aussi stupide que possible quand on a 16 ans dans ce morceau), ce que l’on retrouve bien dans le refrain : “All my life I want money and power / Respect my mind or die from lead shower”. On passe ensuite au morceau suivant, « The art of peer pressure ».
La vie à Compton
Les morceaux évoqués servent à l’introduction de l’histoire, maintenant on rentre vraiment dans le commencement et la mise en place de la trame narrative.
The art of peer pressure (l’art de la pression des paires en français) est l’une des pistes les plus narratives de la discographie de Kendrick, l’introduction nous met directement dans l’ambiance : “Everybody sit your bitch ass down and listen to this true motherfuckin’ story told by Kendrick Lamar on Rosecrans”, c’est vraiment l’introduction de l’histoire de K. Dot. Dans ce morceau, on suit K. Dot et ses potes lors de leurs virées en Toyota blanche, cherchant des « bad bitches » et les ennuis, tout en s’enjaillant sur le premier album de Jeezy et en s’enfumant. On comprend aussi comment la culture du « gangbanging » (ce qui concerne les activités des membres de gangs, les gangbangers) se perpétue, et, spoiler alerte, tout est dans le titre.
Et donc même si K. Dot n’a pas l’habitude de fumer, merde quoi, il est avec ses gars (« with the homies »). On y apprend qu’être avec ses gars ne se limite pas à fumer, quand on est à Compton c’est aussi agresser des mecs qui ont des couleurs différentes (l’opposition entre Bloods et Crips, les gangs de Compton), s’introduire chez des gens pour voler des Nintendos… Toute l’histoire étant du point de vue de K. Dot, on se laisse transporter, on se retrouve à éprouver de la compassion pour ce gamin un peu perdu qui commet des actes qu’il n’aime pas forcément sous la pression de ses paires, on stresse pour lui et ses potes lors du cambriolage…
Le skit qui clôture le morceau le met en scène avec ses potes, qui se clashent un peu, d’abord K. Dot qui n’est pas très bien après avoir fumé, puis sur leur activité sexuelle. Ils parlent notamment de Sherane, une fille du voisinage pour laquelle K. Dot a une forte attirance, et décide de déposer K. Dot chez lui et de se retrouver plus tard. Pour continuer l’histoire, on retourne au dernier morceau, et à son skit, où Kendrick sort précipitamment de chez lui en disant qu’il prend le van de sa mère et qu’il sera de retour dans 15 minutes.
Ce qui nous amène au premier morceau, Sherane aka Master Splinter’s Daughter. Comme le titre l’indique, on parle ici de Sherane (le Master Splinter’s daughter est une référence au maître des tortues ninja, Maître Splinter qui est un rat, et les filles qui trainent avec les membres de gangs sont appelées « hoodrat »). Durant ce morceau, Kendrick raconte comment il a rencontré Sherane il y a plusieurs mois, lors d’une soirée où ils ont flirté ensemble pour finalement s’échanger leurs numéros. Ils ont gardé contact pendant tout l’été et sont devenus assez proches. K. Dot parle aussi de sa famille qui est connue pour ses affaires de gang.
A la fin du morceau, on est de retour dans le présent de notre histoire, avec K. Dot qui conduit jusqu’à chez elle en ne pensant qu’au sexe. Une fois arrivé, il aperçoit en sortant de sa voiture deux personnes avec des hoodies noirs qui s’approchent de lui, il s’arrête net et au même moment son téléphone sonne.
Le morceau se termine avec un nouveau skit, la mère de Kendrick laissant un message sur la boîte vocale de son fils. Elle lui demande où il est, elle a besoin de la voiture pour aller chercher des coupons de nourriture et lui dit de ne pas trainer dans la rue s’il ne veut pas redoubler, et surtout de ne pas fréquenter Sherane. Son père prend le téléphone pour lui demander où sont ses dominos, qu’il cherchera pendant tout l’album.
L’éveil
On arrive maintenant à la partie prise de conscience des dangers qui entoure K. Dot, avec le morceau Poetic Justice.
Dans cet extrait, K. Dot évoque sa relation avec Sherane, qui a du goût pour le luxe, qui préfère aller voir ses copines lorsqu’ils s’embrouillent, adore faire la fête et devient incontrôlable lorsqu’elle boit (entre autres).
Mais c’est le skit de fin qui est surtout important pour notre histoire, en effet, on retrouve Kendrick devant la maison de Sherane avec les deux individus en hoodies noirs qui sont les cousins de Sherane et qui demandent à K. Dot qui il est, de manière assez agressive, et finissent par lui dire de sortir de son van ou ils vont s’occuper de lui.
L’histoire s’enchaîne avec le morceau suivant, Good Kid, juste après s’être fait agressé par les cousins de Sherane, il réalise qu’il ne veut plus de ce train de vie là, et qu’il veut sortir des quartiers. Malheureusement, c’est plus facile à dire qu’à faire, avec notamment les gangs et les policiers qui, parce qu’il est noir, ne le laissent pas tranquille et lui rappellent sans cesse qui il est et d’où il vient. K. Dot est juste un bon gamin dans une ville dangereuse. Cette prise de conscience se poursuit avec le morceau suivant, m.A.A.d city (m.A.A.d. valant pour my angel on angel dust ou my angry adolescence divided). Il reparle des évènements ayant eu lieu dans The art of peer pressure, précisant que le blunt qu’il a fumé avait été mélangé avec de la cocaïne, qu’il s’est fait viré de son job pour avoir cambriolé une maison et qu’il a un jour vu quelqu’un se faire exploser la cervelle devant un Burger (Louis’).
Pour résumer le morceau, Kendrick explique qu’il est réaliste, mais que ce qui le différencie de ses potes c’est qu’il est capable de rêver d’un avenir meilleur quand eux ne disent que « F*ck it ». Dans le skit qui termine le morceau, on retrouve Kendrick à l’arrière de la voiture de ses potes qui l’ont récupéré et qui essayent de lui remonter le moral après la dérouillée qu’il s’est pris en lui donnant une bouteille d’alcool.
Lord God, I come to you as a sinner…
On aborde la dernière partie de l’album, la transition finale entre K. Dot et Kendrick.
Il faut d’abord évoquer le cinquième morceau, Money Trees, où le rappeur récapitule tous les évènements qui se sont déroulés jusqu’à présent en apportant quelques éléments en plus (la personne qui s’est fait descendre devant Louis’ Burger était son oncle, et oui, il a réussi à aller au bout avec Sherane). Le skit à la fin du morceau est un nouveau message dans la boîte vocale de Kendrick, sa mère rappelle, elle lui redemande où il est, mais semble plus inquiète, son père est sous l’emprise de produits, on peut l’entendre chanter dans le fond et redemander où sont ses dominos.
On poursuit avec le titre Swimming pools (drank) qui suit le moment où Kendrick et ses potes commencent à boire. Le morceau parle donc de l’alcool, et du rapport que les gens ont avec. Comme le natif de Compton le dit, certains boivent pour oublier leurs problèmes, d’autres pour s’intégrer, et encore une fois c’est son cas. Ce qui pourrait ressembler à un hymne à l’alcool est en fait une introspection sur ce problème. Et le skit de fin marque un tournant. Passablement alcoolisé, Kendrick et ses potes planifient d’aller se venger des mecs qui l’ont violenté, ils partent donc à leur rencontre, et commencent à leur tirer dessus avant de s’enfuir. Contents d’avoir atteint leur objectif, ils se félicitent tous, et vérifient que tout le monde va bien, L va bien, le frère de Dave aussi, Kendrick tout autant mais… Dave s’est pris une balle, il est mort.. Après ce retournement, l’album enchaîne avec Sing about me / I’m dying of thirst…
La première partie de ce long morceau (12 minutes) se compose de trois couplets, chacun d’un point de vue différent. Le premier est celui du frère de Dave, qui pose une vision assez crue mais optimiste sur les enfants de Compton qui doivent vivre dans un cercle négatif, des gens tuent des gens, qui en tuent d’autres pour se venger et ainsi de suite. Il demande à Kendrick de chanter pour lui, pour sa fierté, sa passion et son frère, mais il se fait tirer dessus à la fin du couplet, il n’est qu’un produit de plus du cercle sans fin de Compton.
Le deuxième couplet est celui de la sœur de Keisha, un personnage qui apparait dans le premier album de l’artiste (Section 80) et qui est une prostituée. Elle aussi en est une, et trouve inacceptable que Kendrick ait pu écrire une chanson sur sa sœur, elle pense qu’il les juge d’être des prostituées et lui rappelle qu’elle se fait bien plus d’argent que lui et ne souhaite donc pas changer. Elle lui fait surtout comprendre clairement qu’elle ne veut pas être associée à lui et lui demande donc de ne pas parler d’elle dans son album, en lui rappelant que la vie à Compton est ainsi, et qu’elle l’a très bien compris ce qui lui permet de survivre.
Le troisième couplet est celui de Kendrick, dans lequel il rappelle les problèmes et les dilemmes qu’il a traversés et qu’il traverse toujours. Il déclare aussi que Dave était un frère pour lui et que c’est la situation de Keisha qui l’a poussé à écrire sur elle, pour parler de quelque chose de bien plus réel que ce que l’on voit à la télé, pour que les gens sachent. S’ensuit le skit avant la deuxième partie du titre, on retrouve notre héros et ses amis qui sont désemparés par ce qu’il vient de se passer et proposent d’aller se venger, ce que le frère de Dave refuse, en déclarant avec émotion « I’m tired of this shit ».
La deuxième partie du morceau met en avant la soif de ces jeunes de Compton, une soif qui ne peut pas être étanchée par l’alcool. Ils ont commis énormément de péchés et en ont tous assez de cette vie. Lors du dernier skit de ce morceau, Kendrick et ses amis croisent leur voisine, une vieille dame qui, les ayant vus en colère et armés, leur explique qu’ils ont besoin d’eau. D’eau sainte. Elle leur fait comprendre l’importance de la religion et les « lave » de leurs péchés en leur faisant répéter la prière des évangélistes. Elle conclut en leur disant de se rappeler de ce jour, le début de leur nouvelle vie, leur VRAIE vie.
The real Kendrick
La conclusion de cette histoire se trouve dans l’avant dernier morceau, Real.
On y retrouve un Kendrick totalement libéré de K. Dot et des démons de Compton, Kendrick a compris ce que signifie « être vrai », et cela passe d’abord par l’amour de soi, apprendre à s’aimer avant toute chose. Le ton du MC est beaucoup plus posé et contrôlé pour montrer qu’il a accepté de devenir mature et tout ce que cela implique.
Le premier skit de ce morceau est le père de Kendrick, toujours sur sa boîte vocale, qui lui dit n’être plus en colère à propos de ses dominos, et qu’il a appris ce qui est arrivé à Dave. Il lui rappelle que n’importe qui peut tuer quelqu’un et que ce n’est pas cela qui fait de vous quelqu’un de vrai, être vrai c’est les responsabilités, c’est s’occuper de sa famille, c’est Dieu. La mère de Kendrick prend le relais plus tard dans le morceau, elle est inquiète mais rassurée qu’on l’ait vu avec la voisine en train de parler de la Bible. Elle lui dit que Top Dawg (le boss du label de Kendrick) a appelé et qu’il aimerait le voir, lui et Dave au studio demain. Elle lui dit de prendre au sérieux ces histoires de musique. Elle continue en lui disant d’apprendre de ses erreurs et de revenir en tant qu’homme pour raconter son histoire aux gamins de Compton, pour qu’ils sachent qu’il était comme eux mais qu’il a réussi à s’élever de cet environnement violent pour devenir une personne positive, et que ses mots d’encouragements sont le meilleur moyen d’aider sa ville.
L’histoire se termine donc, et le morceau Compton clôture le tout en tant que crédit de fin, la fin du film.
Il y a encore beaucoup à dire sur cet album, des détails qui font d’un bon album un chef-d’oeuvre (la voix de la personne évangélisant Kendrick et ses amis et celle de Maya Angelou, la poète qui raisonna 2pac par exemple) mais puisque l’on se concentre ici sur l’évolution de Kendrick, nous nous en tiendrons là.
Voilà, Good Kid m.A.A.d. City, l’histoire qui montre comment un gamin de Compton est devenu l’un des plus grands rappeurs de l’histoire s’arrête ici, et commence aussi ici.
Bravo ton analyse a été très bien écrite et je te félicite pour le travail fourni !!!!
Mais j’ai une question pk kendrick a mis ces track dans le desordre ?