Certaines personnes croient en le fait que notre vie est toute tracée par le destin, d’autres trouvent ça risible. Le début de carrière de Jo-Vaughn Virginie Scott aka Joey Bada$$ a tendance à nous faire croire que ce jeune rappeur né un 20 Janvier 1995 à Brooklyn, New York était fait pour devenir MC. Et tout ce qu’on peut dire c’est qu’il n’a pas perdu de temps.

Des débuts dès 11 ans sous le blase de JayOhVee, qu’il délaissera pour celui qu’on lui connaît aujourd’hui. En 2009, il forme son groupe Progressive Era raccourci en Pro Era alors qu’il était au lycée, aventure dans laquelle le suivent 3 de ses amis Capital STEEZ, CJ Fly et Powers Pleasant, pour un collectif qui compte aujourd’hui une dizaine de MC’s, des producteurs et d’autres membres dont le domaine principal n’est pas musical. En octobre 2010, alors qu’il n’a encore que 15 ans (!), il est repéré par le label Cinematic Music Group grâce à un de ses freestyles posté sur YouTube.

S’en suit une montée en puissance qui passe par un premier projet sur ce label en mai 2012 avec Pro Era intitulé The Secc$ Tape, sa mixtape 1999 sortie en Juin 2012 qui connaît un succès fulgurant et le fait sortir en septembre Rejex sur lequel on peut retrouver des sons qui n’ont pas passé le cut pour figurer dans 1999. Il conclut l’année 2012 avec un autre projet, The aPROcalypse, ce qui, comme vous l’aurez compté, porte à quatre son nombre de projet en 2012 !!

Son année 2013 est moins riche que 2012, le contraire aurait été aberrant, mais Joey Bada$$ nous gratifie quand même de son premier projet commercialisé, the Summer Knights EP, dans les bacs le 29 octobre 2013 et sur lequel on trouve notamment des prod’ de Statik Selektah, avec qui il avait déjà collaboré sur 1999, ou encore ni plus ni moins que DJ Premier pour un son intitulé Unorthodox.

Venons-en au sujet principal, car il était important de revenir sur l’impressionnant début de carrière du jeune Joey mais n’oublions pas le sujet de cette chronique d’album. Et autant poser tout de suite les bases de cette critique, nous avons sûrement affaire à l’un des projets de l’année 2015 (et oui, déjà !).

B4.DA.$$ (qu’on doit prononcer Before Da Money) est sorti le 20 Janvier 2015 c’est-à-dire le jour même des 20 ans du rappeur new-yorkais sur les labels Cinematic Music Group et Relentless Records.

Dès les premières secondes de Save the Children, le premier son de ce premier album, les influences new-yorkaises se font évidentes. En fermant les yeux on pourrait croire à l’intro d’un son de Jay-Z, jusqu’à ce que la prise de parole du rappeur de Brooklyn éclipse toute confusion avec son aîné. L’instru est un délice musical, on y retrouve du piano, des cuivres, et les paroles installent directement la volonté qu’a Joey Bada$$ de croquer son monde à pleine dents.

« I need the cake and cream »

Après une sympathique discussion entre enfants sur l’introlude qui sépare le premier du troisième morceau, on enchaîne sur un son plus engagé. Paper Trail$ est une vraie critique sur l’omniprésence du billet vert et ses dérives aux Etats-Unis. Ainsi, le rappeur n’hésite pas à reprendre le célèbre C.R.E.A.M du Wu-Tang Clan en le modifiant un peu :

« Cash Ruined Everything Around Me »

« It’s the dollar dollar bill, it’s the dollar bill that kills y’all »

Piece of Mind nous offre une instru beaucoup plus volatile, un refrain à l’air plus léger. Une chanson dans laquelle Jo-Vaughn pose deux couplets, l’un relatant sa situation positive et le second ou il rend hommage à un de ses proches emprisonné et critique cette « White America » à laquelle Eminem, notamment, s’était lui aussi attaqué.

On enchaîne avec Big Dusty, un pur son égotrip accompagné par une instru sombre et sobre composée d’un beat et d’un piano sur laquelle le rappeur se pare d’un flow agressif pour narrer la prise de pouvoir de son crew Pro Era.

« What the fuck you gon’ do when the Era come for you ? »

« My flow spill with words you can’t pronounce, stories you can’t tell »

« I stand juxtaposed to all my Pro’s, realest illest niggas I know »

Hazeus View, est le 6ème son du projet, avec Kirk Knight, rappeur et producteur de Pro Era, à la prod. Une prod très chill composée d’une mélodie lente et très smooth au piano et d’un beat assez classique. Un flow parfaitement posé sur l’instru et voilà la recette d’un bon voire très bon son de Hip-Hop.

On reste dans une ambiance très smooth mais cette fois avec un son aux paroles plus triste, porteuses d’un peu de désespoir. Like Me est aussi la première collaboration sur cet album et c’est BJ the Chicago Kid qui accompagne Joey Bada$$ sur ce 7ème titre de B4.DA.$$.

« I pray there’s hope for a nigga like me »

Dans Belly of the Beast, la 8ème track de l’album, c’est un hommage à ses racines qu’on découvre. Tout d’abord une illustration de la vie quotidienne à Brooklyn où il a grandi mais aussi un hommage à ses racines jamaïcaines avec la présence en feat de Chronixx, un artiste de reggae jamaïcain.

Les grands fans de A Tribe Called Quest, le reconnaîtront très rapidement, No. 99 partage en effet le même sample que Scenario, une des chansons les plus célèbres du groupe. C’est aussi la chanson égotrip un peu thug de l’album. Et Jozyf Badmon (un de ses surnoms) y distille un flow agressif sur une instru, si non légendaire, très compliquée à reprendre.

« Ready to bust my gun
I’m rushin’ in like Vladimir Putin »

Faisons une pause dans ce passage en revue afin de s’arrêter sur un point très important dans la valeur de cet album. Comme je le dis souvent, et comme les artistes aiment aussi le répéter, le premier album a pris dans le Hip-Hop de nos jours une importance énorme. En effet, avec la multiplication des EP, mixtapes et autres Maxi, le premier album est vraiment devenu quelque chose de sacré pour un rappeur qui se doit de marquer le coup. Cependant un album peut être bon et comporter quelques chansons dont le niveau est en dessous du rendu général du projet. Là ou Joey Bada$$ confirme tous les espoirs que les gens placent en lui, c’est qu’il a réussi à faire, un peu à la manière de son premier projet solo 1999, un travail d’une densité affolante. Personnellement, je n’ai pas réussi à trouver de canard boîteux dans cette marre de sons et cela montre une maturité artistique déjà énorme pour son jeune âge.

Ma brève trêve étant terminé, attaquons nous maintenant à Christ Conscious, nouveau son égotrip, toujours aussi puissant et où l’artiste qu’est le rappeur de Brooklyn nous partage quelques unes de ses références musicales ou non. Pour la petite anecdote, la prod est signé Basquiat, un producteur qu’il a découvert sur youtube en cherchant son propre blase.

« Got dragon balls like my name was Vegeta »

« Tell these haters beat it, can’t Jackson thriller »

On & On est un son plutôt reposant, avec la présence de Maverick Sabre aux vocalises qui a pour effet d’adoucir la chanson ainsi qu’un couplet de Dyemond Lewis, un membre de Pro Era. L’instru mélange du vieux et du neuf avec une mélodie de piano et des sonorités très électroniques en plus du beat. Le contenu est très planant vu que Joey Bada$$ y parle de son futur départ pour de nouveaux horizons (autrement dit de son futur trépas) d’une manière assez fataliste sans être inquiétante mais presque rassurante.

« I had a dream I seen my name on the gravel stone »

« Don’t mourn me when I’m gone, celebrate my travels »

Escape 120 est au final le titre le plus représentatif du son qu’il nomme. Dans ce son, Joey Bada$$ est accompagné de Raury, un jeune rappeur américain de 18 ans (issu de la même ville que Childish Gambino : Stone Mountain, pas loin d’Atlanta) dont le futur est très prometteur – il a notamment été retenu par Outkast pour les premières parties de leur tournée aux côtés de Childish Gambino mais surtout de Kid Cudi – et dont le style est unique. Le thème de ce son est tout simplement basé sur le vécu des deux MC’s qui expriment leur volonté de s’échapper de leurs soucis respectifs. Le 120 dans le titre de la track étant une référence à l’anniversaire du jeune prodige de NYC et donc à la date de sortie de l’album (le 20 Janvier).

« I’ll take you ’round the world on a Sunday
With me, one day, one day, one day, one day, one day »

Place au 13ème son de l’album et rien de maudit ne vous inquiétez pas, mais tout de même un des sons les plus sombres de ce projet, particulièrement au niveau du texte, accompagné d’une des meilleures prod’ signée Chuck Strangers qui s’est aussi occupé de celle d’Escape 120. Dans ce son, Jozyf Badmon nous parle de sa faible estime de lui-même ainsi que de sa déception quant à l’expérience de star du rap qui s’avère différente de ce qu’il espérait.

Un peu comme dans Escape 120, Jo-Vaughn nous parle de son enfance dans O.C.B (Only Child Bues), et il y fait aussi un peu son introspection. Une fois de plus, l’instru sonne très East Coast et le résultat est très plaisant. On notera le petit hommage à Ol’Dirty Bastard dans le refrain.

« Only child blues, OCB OCB
Jo-Vaughn clean your room, OCD OCD
I used to wanna be like ODB ODB
Now I’m a rap star, OMG OMG »

Et au fil des sons nous nous approchons de la fin de cet album. Curry Chicken est ainsi le dernier son de la version classique du projet. Et la mère du rappeur de Brooklyn y a une nouvelle fois une place prépondérante. Statik Selektah signe ici sa 3ème prod de l’album, une prod composée de multiples samples de soul tous plus agréables à l’oreille les uns que les autres. La leçon donnée dans le refrain est toute simple, il ne faut pas attendre qu’on nous donne pour donner et il faut donner à notre tour une fois qu’on nous a donné. La chanson est conclue très naïvement par une célèbre prière faite par les enfants avant de s’endormir.

« Now I lay me down to sleep
I pray the Lord, my soul to keep
If I should die before I wake
I pray the Lord my soul to take »

Le compte à rebours est lancé, avant-dernier son, premier des deux sons bonus, Run Up On Ya se caractérise par une instru assez lente, un refrain signé Elle Varner dont la voix nous ravit et colle parfaitement à l’ambiance du son, ainsi que la présence d’un autre membre de Pro Era : Action Bronson. Une fois de plus, Joey Bada$$ nous y gratifie de références, notamment à Notorious B.I.G, un de ses idoles, comme plusieurs fois dans les différents sons de l’album.

« First thing’s first, I, Joey
Freaks all the honeys, mommies, the playboy bunnies » (Reprise de One More Chance de Biggie)

Et voilà, nous y sommes, le dernier son de ce bijou qu’est B4.DA.$$. Et cet album se finit sur une touche de joie de vivre, de bonheur grâce à Teach Me. Une chanson en feat avec Kiesza, une chanteuse et danseuse canadienne avec qui ce bon Jo-Vaughn avait déjà collaboré. Et c’est en grande partie la voix péchue de la chanteuse qui donne le ton de cette chanson qui tourne justement autour des thèmes Vie/Danse.

« Okay life’s like, life’s like, just like a tango, tango »

Nous voilà arrivé à la fin de cette chronique d’album, détachez vos ceintures, le voyage dans l’univers de Joey Bada$$ est terminé. J’espère qu’il vous a aussi plu qu’à moi et que cette chronique vous a permis d’encore plus l’apprécier. Il ne nous reste plus qu’à nous dire à la prochaine en espérant que le jeune New-Yorkais poursuive son ascension dans le Rap Game sans se brûler les ailes.

Rédigé par

La Monf'

Défenseur du vrai Hip-Hop, amoureux du rythme et lyriciste babtou // 100% Sport, Matinale, Back2Black