Huit millions huit-cent mille. Oui, vous avez bien lu, c’est le nombre de vinyles vendus aux USA depuis le début de l’année 2020 ! Et, fait encore plus marquant, les revenus générés par les ventes de « galettes » ont dépassé ceux des CDs, pour la première fois depuis 1986. Ces chiffres, annoncés en Septembre par la Recording Industry Association of America (RIAA), viennent une nouvelle fois confirmer le ré-engouement grandissant pour cet objet mythique. 

Quelques chiffres clés

C’est une nouvelle qui devrait en réjouir plus d’un, notamment les acteurs de l’industrie musicale mondiale qui affichait déjà une progression globale de 8,2% l’an passé. En effet, selon le rapport établi par le Syndicat National de l’Edition Phonographique (SNEP), en 2019, si la majorité des revenus ont été générés par le streaming (56%), les ventes physiques ont quant à elles enregistré une nouvelle perte (5,3%). Pour autant, alors que les CDs ont vu leurs ventes fléchir, les vinyles ont réalisé une belle performance en rapportant pas moins de 717 millions de dollars (+5,9%), marquant ainsi la 13ème année de hausse consécutive. Bien que ce chiffre représente une infime part du gâteau, il devrait continuer sa progression au cours des années à venir. Alors, effet de mode ou véritable renaissance ? Pour comprendre, revenons un peu aux sources. 

Graphique du chiffre d'affaires mondial de la musique enregistrée
Sources : SNEP, IFPI
Graphique des revenus mondiaux du vinyle
Sources : SNEP, IFPI

Le disque vinyle, un objet chargé d’histoire

Le disque vinyle, résultat d’une course à l’innovation 

Le vinyle est aujourd’hui très prisé pour plusieurs raisons. L’une d’entre elles est l’histoire qui se cache derrière cet objet circulaire.

Le vinyle tel qu’on le connaît aujourd’hui, aussi appelé « galette » dans le milieu artistique, porte à l’origine le nom de disque microsillon en raison de la technicité de son fonctionnement. Il est l’héritier direct du disque 78 tours apparu au début du XXème siècle suite à l’invention de la première « platine », le Gramophone d’Émile Berliner apparu en 1887.  C’est la version 1.0 du disque : fabriqué en cire, ébonite ou ardoise, recouvert d’une couche de gomme-laque, le 78 tours est très fragile et offre une durée d’écoute limitée à 5 minutes, le tout accompagné de crépitements parasites. 

Cependant, malgré ces quelques faiblesses, deux acteurs majeurs vont dès 1901, investir le marché : la Victor Talking Machine Company et Columbia Graphophone Cy. Les deux géants vont apporter des améliorations significatives aux procédés d’enregistrement et de fabrication. Ils se partageront le marché international en 1907, en laissant tout de même un peu de place à l’entreprise Française Pathé, spécialisée dans les « disques à saphir ». 

Le cours de l’histoire va commencer à changer avec l’apparition de l’amplification électronique, au début des années 1920. Cette découverte sonne la fin de l’enregistrement acoustique et ouvre, dès 1925, de nouvelles voies d’évolution pour la production et la reproduction sonore : le son délivré par les 78 tours peut-être largement amélioré. Dès lors, les industriels du secteur vont entamer une course à l’innovation pour produire des disques de meilleur qualité et les machines permettant de les lire. Cette situation dure jusqu’à ce que la Seconde Guerre Mondiale éclate : l’importation de gomme-laque est interdite et les acteurs doivent donc se réinventer. 

C’est ainsi qu’en 1946, Columbia Records révolutionna l’industrie en brevetant un tout nouveau type de disque : c’est l’apparition du disque microsillon, le vinyle que l’on connaît aujourd’hui, la version 2.0. Les disques sont fabriqués à partir de polychlorure de vinyle réputé comme étant plus résistant mais aussi plus léger, la reproduction sonore électronique offre une bien meilleure qualité. Dès lors, les processus de fabrication, de reproduction et d’expédition sont simplifiés, ce qui permet à Columbia (plus précisément CBS) de réduire considérablement ses coûts. Dans le même temps, la firme met au point le Long Play Record (LP) offrant un temps d’écoute beaucoup plus important, 5 fois plus que celui d’un 78 tours. C’est le 33 tours, format de disque le plus réputé. Enfin, le 45 tours, destiné aux titres « single » verra quant à lui le jour en 1949, lancé par la célébrissime firme RCA Victor.

Le vinyle dans sa forme actuelle est le résultat de nombreuses innovations avec un objectif bien précis : même taille, plus durable, plus résistant. Mais l’histoire ne s’arrête pas là car le vinyle a joué un rôle important durant le XXème siècle : celui de support de diffusion principal. 

Image d'un gramophone
Un gramophone

Le disque vinyle, moteur de diffusion 

Si aujourd’hui il suffit d’envoyer un lien à un ami pour partager de la musique, cela n’a pas toujours été le cas. Heureusement, les vinyles étaient là pour aider nos aïeux. 

En tant que véritable révolution, le disque vinyle a su s’imposer en tant que support de diffusion principal tout au long du XXème siècle. Ainsi, à la veille de la Première Guerre Mondiale, 50 millions de disques et cylindres (autre forme de support) sont vendus à travers le monde. Mais ce n’est que le début puisqu’on parle également de 100 millions de galettes écoulées en 1920, ou encore 180 millions en 1929, uniquement aux USA et en France. Enfin, pour comprendre l’immensité du phénomène, à son apogée en 1975, la production mondiale est évaluée à 1,5 milliard d’unités, soit plus de 170 fois la quantité écoulée aux États-Unis cette année. 

Le disque vinyle, l’apparition du CD et la crise de l’industrie musicale 

Comme vous l’aurez compris, le développement du vinyle a été long et fastidieux mais le disque microsillon est à la base de l’industrie musicale. Pourtant, tout bascule au début des années 1980 : l’industrie musicale est en marche, les majors sont à la recherche de profit et une nouvelle innovation plus rentable que le vinyle voit le jour, le Compact Disc (CD). C’est le début de la fin. 

En effet, le CD apparaît au Japon en 1982 et va progressivement s’imposer comme le standard de la distribution commerciale, mettant ainsi le 33 tours sur la touche. Même si la fabrication des CDs est plus couteuse que celle des vinyles, les disques compacts présentent de nombreux avantages non négligeables : durée d’écoute supérieure à 1 heure, taille et épaisseur, faible usure en raison de la nouvelle technique de lecture, qualité sonore supposée supérieure ou encore navigation directe entre les pistes. Ainsi, les majors vont se tourner vers ce nouveau support à la fin des années 80, faisant ainsi dégringoler les ventes de vinyles. Elles passent de 1,5 milliard d’unités en 1975 à 450 millions en 1989, et seulement 4 millions en 2006. C’est la mort du vinyle, et bientôt celle du CD. 

Images de vinyles graphiques limités
Vinyles graphiques

Le vinyle contre-attaque 

Alors qu’à l’aube du XXIème siècle, le CD est confortablement installé à la place du leader de la diffusion, une crise sans précédent va toucher l’industrie musicale mondiale : celle du téléchargement illégal. Pour autant, le disque vinyle semble résister au phénomène. 

En effet, le développement d’internet dans les années 1990 a été source d’une profonde récession pour le secteur. Le piratage illégal apparu au début des années 2000 a fait plonger les ventes physiques, forçant ainsi les acteurs de l’industrie à trouver des alternatives. Ainsi, on assiste, dès 2005, au développement de l’écoute en ligne. Pour autant, si le streaming représente aujourd’hui une grande partie des revenus, on constate également à un regain d’intérêt pour le vinyle.  

Effectivement, selon le site Diggers Factory, en France, les ventes de vinyles ont bondi de 1270% entre 2007 et 2018. Mais, comment expliquer ces chiffres ? Plusieurs facteurs seraient à l’origine de ce phénomène. 

En premier lieu, il y a un facteur culturel : les galettes sont rattachées à l’univers DJ. C’était le cas dans les années 1990 et c’est encore le cas aujourd’hui. De nombreux artistes mixent encore avec des vinyles, notamment dans la House, la Techno ou encore le Hip-Hop. D’une part, les vinyles délivrent une qualité sonore analogique très recherchée. D’autre part, les platines vinyles offrent des perspectives techniques bien spécifiques, difficilement reproductibles avec du matériel numérique. On entend d’ailleurs souvent dire que les DJs d’aujourd’hui ne sont pas de « vrais DJs » car ils ne mixent pas sur vinyles. 

La seconde raison relate davantage un phénomène de société : dans un monde ultra connecté, les individus souhaitent revenir aux sources et retrouver des valeurs de partage. Dans cette optique, les vinyles offrent une authenticité inégalée : un son analogique offrant une écoute réellement différente et la possibilité de contempler le produit. Dès lors, les crépitements parasites sonnent comme une invitation à se réunir entre amis pour échanger autour de la musique.  Résultats : les chineurs audiophiles sont constamment à la recherche de pépites pour compléter leur collection et la mode du vintage encourage le commun des mortels à acquérir un tourne disque pour connaître ces moments de convivialité. 

Enfin, la dernière raison repose sur l’esthétique même du disque. Personne ne dira le contraire : un vinyle, c’est beau ! Il n’y a rien de plus satisfaisant que de trouver une perle rare accompagnée de sa pochette afin de l’exposer fièrement dans une vitrine. Certains vinyles peuvent d’ailleurs être considérés comme des œuvres d’art: de nombreuses éditions limitées sont très prisées et offrent des visuels originaux et colorés.

Quoi qu’il en soit, le disque vinyle n’est définitivement pas mort, et c’est tant mieux. De nos jours, de nombreux artistes sortent leurs morceaux au format 33 tours, des petits disquaires locaux voient le jour chaque année et les grandes enseignes ont même des rayons dédiés aux galettes noires. 

Emmanuel KEIDEL