En 2015, le rappeur Nekfeu, dont la carrière était en plein boom en France, sort le morceau Égérie dans son album Feu. Il aborde alors le thème du monde du luxe et de la bourgeoisie confrontée au rap étant perçu comme étant son antithèse. Le rappeur écrit alors :

« Une marque de luxe m’a dit : «On veut pas de rap. »

Tu connais les ches-ri

J’ai dit : « Tant pis, tranquille, moi, je parle ap’… »

Le lendemain, je me suis tapé leur égérie »

Nekfeu se serait donc fait refuser une collaboration avec une marque luxueuse à ses débuts (probablement Aubade) et l’histoire en serait restée là pour lui.

Ce cas-là n’est pas isolé puisque le rap a longuement été diabolisé en France par les médias mainstream et de nombreux rappeurs n’ont jamais pu accéder aux marques de luxe pour des collaborations alors que ces dernières font parties intégrante de la culture rap. En effet, depuis que le hip hop est arrivé en France, les artistes ont toujours aimé bien s’habiller et ont développé une culture de la mode et des beaux vêtements. Aujourd’hui encore on aime citer la haute couture comme Louis Vuitton, Versace ou Gucci ainsi que des créateurs comme Virgil Abloh ou bien Christian Dior dans bons nombres de morceaux. Rapidement, on arbore sur les pochettes d’album, comme dans les clips, des vêtements toujours plus chers et un amour des marques toujours plus assumé (en 2013 on découvrira le « rappeur » Swagg Man le crâne tatoué du symbole LV). Les rappeurs français deviennent alors des vrais amateurs de la sappe et le revendiquent.

 

Cependant, ce profond amour n’est qu’à sens unique puisque les grandes marques ne feront quasiment aucune collaboration avec des rappeurs, qu’ils voient comme l’opposé de leur cible. En effet, les marques visent des personnes qui ont un certain revenu, appartiennent à une certaine classe sociale et font très attention à leur image. Jusqu’à très récemment l’image du rap était très sombre, violente et les médias n’en montraient que cette facette. Les marques de vêtements n’avaient donc aucun intérêt à prendre le risque d’aller vers les rappeurs dont le public n’était pas le même que le leur et dont l’image pouvait entacher la marque.

 

On assiste alors à un « Fuis moi je te suis, Suis-moi je te fuis » entre artistes et professionnels de la mode. Certains rappeurs, boudés par les marques de vêtements, décident de prendre les devants en créant leur propre marque, leur propre linge. Le public rap français se verra alors proposer différentes marques ayant plus ou moins de succès en allant de Unküt du rappeur Booba, jusqu’à Jeune Riche de Kaaris, en passant par Charo de Niska sans oublier AVNIER d’Orelsan. Nos rappeurs deviennent donc rapidement multitâches, pensent comme des entrepreneurs, même plus des créateurs de mode.

Toutes ces marques sortant de nulle part et connaissant un succès certain malgré des prix assez élevés font prendre conscience à certaines marques du potentiel du public rap. Les années passent, le rap se démocratise toujours plus, devient de plus en plus éclectique et les marques de luxe les boudant auparavant n’ont maintenant plus peur pour leur image. Elles décident donc de retourner leur veste et de s’ouvrir aux artistes pour le plus grand bonheur de ces derniers et de tous les amateurs du monde hip-hop.

On a récemment eu le droit à la collaboration entre Moha la Squale et Lacoste, la marque au crocodile a même annoncé à un projet avec Roméo Elvis. Son concurrent direct américain, Ralph Lauren a donc dû répliquer et aujourd’hui fournit plusieurs rappeurs comme les Belges Caballero et Jean Jass ou encore Alpha Wann en France. Encore plus réjouissant le directeur artistique de Louis Vuitton et fondateur de Off-White, Virgil Abloh, a invité le groupe PNL à la Fashion Week de Paris.

 

Nous pouvons désormais retourner vers Nekfeu et son morceau Egérie dont le couplet suivant celui présenté en introduction dit :

« La même marque de luxe m’a dit : « On veut bien ton rap. »

Tu connais les ches-ri

J’ai dit : « Non, merci. J’ai monté ma propre marque

Et rappelez-moi de rappeler votre égérie. » »

Il est tout de même important de préciser, que cette histoire de « Fuis moi je te suis, Suis-moi je te fuis » ne sera peut-être jamais terminée à une ère où des rappeurs multi-casquettes cherchent une indépendance absolue et où les marques désirent croquer la part du gâteau que certains appellent rap-jeu.

Victor