Après leur album El Camino sorti en 2011 qui les a propulsés tout en haut des « charts-hits-tops », qui les a platinés, grammysés, les Black Keys reviennent avec Turn Blue, loin des racines du groupe natif d’Akron, mais que Dan Auerbach et Pat Carney aiment présenter comme le (digne ?) héritier de Brothers (2010). La logique incrémentale initiée par les deux génies du rock depuis Thickfreakness s’est dissoute avec El Camino mais Turn Blue marque lui aussi une coupure, mais difficilement compréhensible.

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La genèse de Turn Blue arrive après l’énorme succès d’El Camino (toujours produit par Danger Mouse), où initiés et novices du rock y trouvaient chacun leur compte, réunissant les masses et donc rendait cet album « massif », comme un trophée un peu trop lourd malgré lui qui fait plier une étagère. A l’époque déjà on se demandait quelle direction allait devoir prendre le groupe pour son prochain album. Finalement le duo de l’Ohio a choisi de bifurquer de ce petit « camino », où l’on aurait aimé rencontrer encore d’autres ovnis du genre, pour rejoindre les rails balourds du train de la célébrité. Soit on embarque, soit on reste à quai, mais cette fois pas de compromis.

dan auerbach & pat carney

Turn Blue s’ouvre sur Weight Of Love qui constitue à coup sûr une des meilleures chansons de l’album. On est pour le coup très loin du blues cru auquel on a toujours été habitué avec les Black Keys, mais la touche psyché portée par les claviers et longs passages non chantés donne place à de purs moments de magnificence. Une intro extrêmement  Floydienne qui nous pousse à croire qu’une nouvelle fois Danny a réussi à nous la mettre à l’envers, à réinventer son groupe, que le douteux Fever balancé en avant-première prendra tout son sens dans l’ensemble de l’album. On y croit quand à 1’50 on perçoit toute la teneur brutale et talentueuse du duo.

Mais seulement… Un divorce pour Dan plus tard, l’album est selon lui une thérapie musicale, comme Brothers le fut pour Pat. Le rapprochement entre les deux albums est donc déjà fait… Mais cette ambiance lancinante se retrouve à chaque refrain, de même que l’expression de la voix parfois agaçante de Auerbach sur Brothers. Turn Blue arrive très (trop) vite dans l’album, après In Time au refrain insipide (dont les premières secondes nous rappellent ça), accompagnée de sa comparse Fever. Deux titres sûrement indigestes pour les aristarques, trop « bleus » à leur goût. Difficile à apprécier tellement ils ont été choisis pour nous matraquer la gueule comme ça avait été le cas avec Lonely Boy, sauf que là on a dû mal à avaler. On se demande avec scepticisme ce que tous ces titres donneront en live…

S’en suit Bullet In The Brain, retour au psychédélisme du premier titre, octavienne par fulgurances mais le goût amer des chansons précédentes reste en bouche. Pourquoi ne pas en avoir fait un tube plutôt que Fever ?
Sur It’s Up To You Know on alterne entre reprises de grosses basses et refrain psyché à la Brian Jonestown Massacre. On retrouve l’approche dénudée, pragmatique presque cartésienne du groupe sur Waiting On Words mais toujours cette fausse atmosphère mélancolique pesante. Lovers reste à ce jour le seul véritable ovni dans ce méli-mélo de pathos.

Si l’album se clôt sur une « ballade » rock’n’roll presque « anakronique », perdue dans cet album en guise de happy-end (Gotta Get Away), In Our Prime est l’autre très bon titre de Turn Blue. Déstructuré, exaspérant et d’un bleu à la fois résolument azuréen et seigneurial ; on aurait aimé avoir cette ADN là tout au long de l’album. Pas un enchaînement simpliste et trop ficelé de chansons trop souvent creuses et pas assez luxuriantes. Si le constat semble sévère, c’est que la barre avait été placée si haute durant toutes ces années, Turn Blue reste un bon album mais qui arrive un peu comme marée en carême.

Dan Auerbach déclarait pourtant qu’ils ne changeraient jamais (AFP) :

« C’est en nous. On a toujours eu cette éthique de travail, cette mentalité d’ouvriers. On a vu nos parents être fauchés toute leurs vie, travailler trop et en avoir très peu de retour. Je crois qu’on ne changera jamais. »

 

Il serait facile de lui rétorquer que si, que le succès leur a sûrement fait tourner la tête, que la chimère (qu’ils ont toujours essayé de repousser) risque de les dévorer… et on se surprend à penser déjà au prochain album comme s’il s’agissait d’une simple fausse note, un tournant à reléguer au diable vert pour ces cols bleus impérieux.

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L’avis de Lorenzo

On pouvait s’attendre à tout de la part des Black Keys sauf à cet album qui fera très certainement débat au sein des fans du groupe. Un virage presque inattendu, tombé de nul part,  une surprise un peu trop grande mais pas sans intérêt…

Le premier titre intitulé Weight of Love donne effectivement le ton d’un album résolument mélancolique sur fond de psychédélisme. Un titre qui semble largement inspiré de The Great Gig In The Sky des Pink Floyd (la comparaison du point de vue de la rythmique et des accords est saisissante)

 Même si les amoureux du groupe pourraient être déçus de perdre le Blues et l’enregistrement sauvage de The Big Come Up ou de l’excellent Thickfreakness, l’introduction de ce nouvel album comme une passerelle entre deux styles musicaux semble être réussie. Hélas, la déception est grande lorsque nous passons à l’écoute du titre In Time couvert du début à la fin par la voix d’un Dan Auerbach presque castrat et une mélodie enfantine. Viens ensuite Turn Blue et le retour à l’espoir en pensant que le titre précédent n’est qu’une erreur dans la tracklist. Puis c’est la rechute: avec Fever, les Black Keys tombent dans les abysses du titre simpliste et nous rappellent avec douleur le moment où nous avons découvert pour la première fois ce titre qui était censé annoncer avec fracas l’arriver de Turn Blue.

Après cette traversée du désert, le premier titre qui était de bon goût (Weight Of Love) est déjà bien loin, on écoute quand même la suite…

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C’est en persévérant que nous découvrons la partie intéressante de cet album. Même si Year In Review ne fait pas l’unanimité, on est agréablement surpris par Bullet in the Brain qui renoue avec l’inspiration Floydienne du début. Un titre construit un peu à la manière de l’excellent Little Black Submarines figurant sur l’album El Camino: la tendresse des premières secondes laisse progressivement place à un refrain énergique non sans charme. On est également conquis par le morceau It’s Up To You Now, un titre chargé de percussions et de guitares saturées qui plaira sans aucuns doutes aux fans de la première heure. Les titres s’enchaînent cette fois avec un peu plus de succès en misant parfois sur des morceaux plus doux comme Waiting on Words, une ballade sympathique aux riffs entêtants, ou comme 10 Lovers et son jeu de basse funk. Autre titre surprenant, In Our Prime avec son intro au piano et son refrain à la Beatles expriment bien la recherche d’un style nouveau voulu par le groupe et signe en même temps un des meilleurs titres de l’album.

Au final, cet album ça donne quoi ? Après écoute, on reste partagé sur la qualité de cet album. Bien que la deuxième partie soit mieux maîtrisée et présente une facette encore inexplorée du groupe, on reste dubitatif quant aux premiers morceaux et quant à la cohésion de Turn Blue: beaucoup de tentatives pour sortir du commun mais qui rendent au final, une prestation inégale écrasée par des titres qui laissent un goût amer. En témoigne le titre Gotta Get Away qui clôture cet album sans aucun lien avec le reste, comme s’il avait été rajouter là, par hasard…

 

 

 

Rédigé par

Léopold S.

Former Member