« Le rap c’est un moyen pas une fin, ni un sprint mais une course de fond » (Onfait les choses, Première Classe 1, 1999). Dans cette punchline, s’apparentant à un constat lucide sur la carrière d’un artiste, Pit Baccardi (Demi-frère de Dosseh) présentait un idéal de longévité. Un idéal atteint par peu d’élus et se comptant sur les doigts d’une main pour la scène rap français. Remise en question, résilience et stratégie sont les clés pour perdurer dans une industrie en perpétuel mouvement. Atteindre les sommets est l’objectif de tous rappeurs, une ambition affirmée et assumée par tous dans ce milieu rempli d’orgueil et d’égo. La Fouine a atteint ces sommets, se présentant comme un des rappeurs les plus importants des années 2000 et délivrant de nombreux classiques au Hip-Hop hexagonale. Cependant depuis quelques années sa carrière s’essouffle voire côtoie les abysses. Alors à quels facteurs peut-on imputer une telle déchéance ? Retour sur un drôle de parcours.
2004 : La Fouine creuse son trou
Révélé par le concours Max de 109 organisé par la radio Skyrock et la maison de disque Sony Music Entertainment, La Fouine dévoile son premier projet en 2004, la mixtape « Planète Trappes ». Le rappeur franco-marocain débarque dans le game avec une véritable « gueule », une attitude et surtout un style. Le rap était alors plongé dans les marasmes de la société, un spleen de la rue et une atmosphère ternie par le bitume. A son arrivée, La Fouine propose un véritable contrepied, un rap chantonné s’appariant à du RnB. Le frère du rappeur Canardo est alors le crooner, chanteur caractérisé par un style de chant au ton chaleureux et émotionnel qu’il communique avec son timbre de voix, du rap français. Cette musicalité lui a été transmise dès sa plus tendre enfance, une enfance bercée aux mélodies d’une variété française omniprésente à la maison et de cours de guitare au conservatoire de musique de Trappes.
2005-2014 : Une trajectoire ascendante
Tout au long de sa carrière, l’une des principales forces de La Fouine fut sa capacité à placer régulièrement des tubes en rotation radio. Il faut dire que ce dernier possède la recette, un rap mélodieux mais surtout des paroles introspectives et poignantes qui plaît au grand public. Comme les chanteurs de Blues, La Fouine chante un spleen, une dure réalité sur un rythme léger et ce dès son premier album. « Bourré au son » paraît en 2005, un album bien reçu par le public et porté par un des plus gros tubes de cette année. L’unité ft J-MI Sissoko, un tube fédérateur et une véritable aubaine pour les ondes spécialisées dans les musiques urbaines à une période où les banlieues étaient en proies à des émeutes suite à la mort de Zyed et Bouna. Les albums suivant connaîtront des succès critiques et commerciaux, « aller-retour » (2007), « mes repères » (2009), « La Fouine VS Laouni » (2011), « Drôle de parcours »(2013). Ils seront les témoins d’une bonne conciliation entre bangers « street » et tube grand public, La Fouine parvient alors à ériger aux mêmes rangs des morceaux complètement antithétiques au sein d’un même album. Une opposition, entre le bien et le mal, entre la street et le grand public, entre le rap et la pop, qui le tiraille depuis les prémices de sa carrière.
La Fouine vs Laouni : un personnage paradoxal
« La Fouine Vs Laouni » paru en 2011 est le quatrième album de l’artiste, un disque illustrant parfaitement le dilemme entre proposer une musique de rue et s’inscrire définitivement dans la culture populaire. Si la cohabitation se faisait sans aucun problème dans les précédents opus, elle se fait désormais de plus en plus lourde. Avec ce double-album, La Fouine trouve un véritable compromis, un CD estampillé rue et un autre variété française. Ce compromis a été imité la même année par Soprano avec l’album « La colombe et le corbeau ». La comparaison avec Soprano est judicieuse dans la mesure où ce dernier représente ce qu’aurait dû devenir La Fouine, un personnage encré dans la culture populaire et s’affranchissant de cet aspect « rue ». La carrière du rappeur de Trappes tendait vers une telle trajectoire, son album « Drôle de parcours »(2013) devait être celui de la transition avec des tubes pop (J’avais pas les mots, Ma meilleure ft Zaho, Quand je partirai) donnant une tout autre dimension au rappeur. S’en suit une véritable hausse de sa côte de popularité, le personnage plaît au grand public par sa sympathie naturelle qu’il dégage lors de ses passages en télévision. Le personnage plaît et dépasse alors les sphères du rap, jury à Pop Star, des rôles au cinéma et un album entièrement pop « Team BS » (2014), un album décrié par sa fan base de la première heure mais qui est un véritable succès commerciale et inscrit La Fouine de plus en plus dans la culture populaire. Cependant la schizophrénie des rappeurs l’empêche de jouir pleinement de son nouveau statut, cette dualité entre la street et la gloire du grand public n’est pas facile à assumer et La Fouine fera le choix d’un retour vers le côté obscur.
Des choix irrationnels
Au contraire d’un Maître Gims ou d’un Soprano, La Fouine a décidé de faire le chemin inverse, un choix de carrière s’apparentant à un retour aux sources, à l’essence même du rap, un rap de rue, en opposition avec ce que le personnage est devenu. Ce choix de carrière peut être imputé à différents facteurs, le clash avec Booba a plongé le rappeur dans le côté sombre de cette musique. Une guerre d’égo encourageant Laouni Mouhid a montré qu’il est meilleur que son adversaire dans un certain créneau de rap, le rap de rue. Aujourd’hui le rap de rue correspond à de la trap et ce style de rap ne correspond pas à La Fouine dans la mesure où elle bride sa musicalité ainsi que son rap mélodieux. Bien qu’il ne soit pas ridicule, loin de là, La Fouine ne parvient plus à toucher les cœurs, en atteste son album « Nouveau monde »(2016), qui est un véritable échec commerciale. L’artiste persistera dans ce créneau avec deux autres mixtapes « Capitale du crime censurée » (2017) et « Sombre » (2018). Un choix de carrière lourd de conséquences dans la mesure où les fans de la première heure ne retrouvent plus cette sincérité et authenticité d’antan, cette musique ne correspond pas au grand public et la nouvelle génération d’auditeurs jettent leurs dévolus sur de nouveaux artistes plus à l’ère du temps (Ninho, Koba la D, Hamza, Zola…)
La Fouine veut reprendre du poil de la bête