On n’ose même plus présenter Marcus Miller, faute de superlatifs. Technicien habile de la basse, il a redonné à cet instrument ses lettres de noblesse. A l’aise dans tous les registres du jazz, avec une rapidité d’exécution folle, il a notamment accompagné plusieurs artistes de haut vol comme Miles Davis (album Tutu de 1986), Luther Vandross ou encore Georges Benson. Le mois dernier (16 Mars), il sortait Afrodeezia, marquant son retour en studio après plus de trois ans de pause. Retour tardif mais plus que nécessaire sur cet opus de haute volée.
« Le pouvoir de la musique n’a pas de limites »
Une claque, une gifle … que dis-je, un tourbillon de classe. Voilà les doux mots qui me viennent à l’esprit après plusieurs écoutes de cet album prodigieux. Il faut bien se dire qu’avec Marcus Miller, nous tenons là, à coup sûr, un des meilleurs musiciens de notre époque et que son retour dans les studios d’enregistrement est à marquer d’une pierre blanche. Et pourtant il signe avec Afrodeezia son tout premier album chez le prestigieux label Blue Note, qui a célébré ses 75 années d’existence en 2014 et dont il a pu observer l’évolution depuis sa collaboration dans les années 1980 avec un grand nom du label : Miles Davis.
« A travers le négro spiritual ,le jazz et la soul, nous avons pu préserver notre histoire, parce que tout le reste avait été effacé. Ce que je désirais le plus, c’était remonter à la source des rythmes qui ont fait la richesse de notre patrimoine musical, les suivre à la trace, de leurs débuts en Afrique jusqu’aux États-Unis. Ce périple nous a menés du Mali à Paris, de La Nouvelle-Orléans à São Paulo en passant par les Caraïbes.”
Preuve que Marcus évolue avec son environnement, il s’est pris d’amitié en 2014 avec Oumou Sangaré, une chanteuse malienne qui lui a présenté son bassiste, le sénégalais Alune Wade qu’il a invité à chanter sur le premier morceau de Afrodeezia, un disque qu’il a voulu comme un retour aux sources africaines des rythmes qu’il pratique depuis toujours et pour lequel il a convié des artistes maliens, burkinabés, mais aussi brésiliens et trinidadiens.
L’album ouvre sur Hylife, hommage à la terre de l’afro-beat et berceau du Highlife : le Nigéria. Le titre est lancé à grand renfort de slap et on saluera la parfaite maîtrise des claviers sur des parties techniques, ainsi que la présence quasi-hypnotique des cuivres pour accompagner un des hits de cet opus, assurément. Dans B’s River, l’auteur nous invite dans une ballade où jazz, mélodie pop et sonorités ancestrales constituent un mix parfait autour d’une rythmique hypnotique, avant de descendre en Afrique du sud écouter les chœurs interpréter du gospel. Un délice.
Après le continent africain et l’Amérique du Sud (We Were There), Marcus Miller fait escale en Louisiane et c’est au blues américain qu’il fait référence en délivrant une version terriblement funk et bluesy de Papa Was A Rolling Stones des Temptations.
Plus loin dans l’album, Son Of Macbeth nous plonge au cœur des îles Caraïbes avec de douces percussions divines. Ce titre est un hommage au percussionniste originaire de Trinidad et Tobago Ralph Macdonald, qui a accompagné Grover Washington Jr notamment sur son album Mister Magic (1975).
Nous voici à la fin du voyage initiatique du « Slappin’ Man ». Pour parachever son oeuvre, Marcus a convié le beatmaker Mocean Worker et un membre éminent de Public Enemy, Chuck D pour la chanson I Can’t Breathe qui sonne très electro-jazz, et qui se mêle parfaitement à la voix très marquée du new-yorkais.
Marcus Miller frappe fort avec Afrodeezia. Un album d’une qualité rare, qui se retrouve dans le voyage initié par l’artiste et qui lui sert de trame de fond tout au long de l’opus. Nommé artiste de l’UNESCO pour la paix en 2013, le bassiste est devenu le porte-parole du programme éducatif « La route de l’esclavage », où il peut mettre à profit son expérience de la musique afro-américaine et montrer qu’elle pouvait donner de la voix à ceux qui n’en n’avait pas. Fascinant.
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